Neoprog.eu
Menu

Interview de Pascal Escoyez le 20/12/2014
Entre séances d’enregistrement d’albums, production, distribution et autres activités, Pascal Escoyez a trouvé le temps de recevoir Neoprog dans son studio du Périgord pour parler de son album Nature, très apprécié à la rédaction.
C’est un passionné qu’a rencontré Togo Chubb, un dimanche en campagne…



Henri : Bonjour, et merci de nous accorder cet entretien en pleine période de promotion de votre album Nature, album qui nous a conquis à la rédaction de Neoprog (http://neoprog.eu/critique/pascal_escoyez/nature) !

Pascal Escoyez : Merci !

Pascal Escoyez

Henri : Mais avant de parler de cet album et de sa genèse, pourriez-vous nous dire quelques mots de votre parcours musical si particulier ?

Pascal Escoyez : A la base, je suis un musicien classique. J’ai commencé par le violon aux alentour de 8 ans. J’en ai fait pendant 4 ans et j’ai arrêté parce que j’avais un professeur qui travaillait encore à l’ancienne en vous tapant avec l’archet sur les doigts, alors… ce qu’on peut supporter à 8 ans, c’est plus difficile à 12 ! Mon père avait une guitare, et le violon, quand on ne jour pas bien, c’est difficile à supporter. Il m’a dit : "Fils, prends la guitare !" J’ai continué les cours théoriques : solfège, harmonie, contrepoint, etc., et pour ce qui est instrumental, je suis resté autodidacte, en raison de l’expérience du violon (rires) ! De la guitare classique, inévitablement, je suis passé à l’électrique, à la guitare-synthé, au synthé, et voilà. Après, j’ai voulu toucher un peu à tout. J’ai voulu acheter un saxo pour voir comment ça marchait, j’ai appris la flûte, dans l’album je joue du doudouk, instrument arménien… Tout ce qui m’intéresse au niveau du son, j’ai envie d’y toucher, j’ai envie de jouer ! Je ne suis pas un grand musicien, mais j’aime bien composer. Par exemple, tout l’album a été composé au piano, parce que je ne voulais pas retomber dans les grilles d’accords successifs qu’on a inévitablement à la guitare… Harmoniquement, c’est plus facile au piano, on ne retombe pas sur les choses que l’on fait tout le temps, d’où la prédominance du piano pour l’album… Je suis un touche-à-tout, mais j’ai continué la guitare classique et donné des concerts : Villa-Lobos, Baden Powell, et Bach pour le baroque.

Henri : Nature est votre premier album. Quel effet cela fait-il de sortir son premier disque à l’âge de la maturité et au milieu de multiples activités ?

Pascal Escoyez : Eh bien… c’est une bonne question ! On ne se rend pas bien compte. Oui, j’ai rêvé de l’avoir en main après tout ce temps… Parce que, bon, sur l’album, il y a des morceaux dont les prémices datent des années 90, comme "Everything We Can" que j’ai commencé à composer en 1993… Donc, on se dit qu’un jour, on aimerait bien réaliser ça, avoir l’objet dans les mains, et quand il arrive, ça fait drôle ! Parce que c’est l’aboutissement d’un travail de longue haleine. Il y avait longtemps que j’avais envie de faire un album, mais je n’avais peut-être pas les moyens, ou le temps… peut-être pas autant de choses à dire : à 50 ans, on a peut-être plus de choses à dire qu’à 20 ? Je ne voulais pas que ce soit uniquement instrumental, je voulais des textes. Bref, avoir le CD en main a été émouvant, la marque d’un long cheminement, plus long que les 8 ans de réalisation de l’album…

Henri : Il vous a fallu 8 ans pour réaliser ce projet, vous avez parfois dû penser qu’il ne verrait jamais le jour…

Pascal Escoyez : Non ! Beaucoup de gens l’ont pensé à ma place (rires) ! C’est une méthode de travail. D’abord, j’ai beaucoup d’idées, tout le temps. Je suis très rapide pour commencer les choses et très lent à les terminer, c’est comme ça, avec beaucoup d’exigence. Le fait d’avoir fait ça sur une telle durée… Je n’ai pas travaillé tous les matins en me levant pour faire l’album ! On avait des périodes où le studio était occupé à autre chose, j’ai énormément d’autres activités, etc. Mais cela m’a permis une chose. Souvent, on fait quelque chose un soir, on trouve cela fantastique, et deux jours après, ça l’est beaucoup moins ! Dans ce projet, cela nous est arrivé souvent. On allait dans une direction, on écoutait ensuite, et on se rendait compte que c’était ou quelconque ou beaucoup moins intéressant que l’euphorie du moment ne l’avait laissé penser. Donc, on revenait en arrière, etc. Ce recul qu’on a pu avoir nous a permis de garder les choses qui nous procuraient encore de l’émotion, même après des mois. Mis bout-à-bout, on a peut-être passé un an dessus, mais en un an, on n’aurait pas eu ce résultat.

Henri : Vous avez mis de sacrés moyens pour réaliser Nature : le Sphere Studio (dont vous êtes le propriétaire et dont nous avons parlé dans Neoprog : http://neoprog.eu/actualite/2014-10-29/sphere_studio_:_un_voyage_au_pays_des_elfes) et son équipe ; les prémixes et le traitement des batteries aux Real World Studios de Peter Gabriel ; un mastering au Sterling Sound de NY avec Craig Calbi… Humainement et techniquement, quel est votre feedback sur ces expériences ?

Pascal Escoyez : Si on fait fi de la musique, cela m’a beaucoup apporté. C’est une expérience humaine avant tout. Pendant 8 ans, énormément de gens m’ont suivi, ont cru au projet. Il y a eu des détracteurs aussi. Mais les musiciens, les 14 que l’on voit dans le making-of ont vraiment contribué à nous faire croire qu’on pouvait arriver au bout. C’est vrai qu’aller chez Peter Gabriel, c’est parce que j’ai une autre activité de revente de matériel qui m’a permis d’y aller. Evidemment, c’était un rêve. Se retrouver là où tant de disques que j’aime ont été enregistrés et y écouter sa propre musique, ça fait quelque chose ! Et puis, c’est vrai qu’on a appris énormément de chose là-bas. Quand on est revenus avec les trois premiers prémixes de batterie, etc., on s’est dit : bon, maintenant, il faut faire tout l’album comme ça ! On avait vu que Andy Kitchen (NDLR : l’ingénieur du son de Dream World) utilisait tel matériel, en le détournant, on a fait l’acquisition de ce matériel et ça a fait évoluer notre studio. Ca a eu des conséquences sur beaucoup de choses. Le fait d’avoir Craig Calby aussi. J’ai un ami américain qui est ami avec lui. J’ai pu l’appeler, il a été intéressé. Des hasards de la vie, mais quand on rencontre des gens comme Craig Calby qui, sur son ordinateur, a un petit post-it avec "Je serai en retard, mais commence, je te fais confiance. John (Lennon)", ça fait quand même quelque chose ! Le gars, il vient de refaire tout le catalogue de Bob Dylan ! Mais en dehors de ça, lui comme les autres que j’ai rencontrés, personne ne se prend la tête, ces gens sont abordables, humainement très intéressants, il y a le moyen de partager plein de choses. Calby, c’est un personnage, beaucoup d’humour, et il faut le voir au travail. Pour l’album, on a passé 8 heures. On était assis, on écoutait, et on se disait que ça allait sonner d’enfer. Et à chaque stade, on a eu ça ! Quand j’ai rencontré Samantha qui fait les vois féminines et les double-voix, c’était aussi un hasard. Maintenant, on est amis, mais c’est ça qui est intéressant dans un projet, c’est ce que les autres viennent y mettre. Beaucoup de gens font des albums seuls. McCartney en a fait un récemment. C’est intéressant mais on voit qu’il n’y a pas l’apport de différentes individualités qui amènent leur richesse, leur patte. C’est ça qui fait un album et j’ai eu la chance, sur 8 ans, d’avoir toutes ces rencontres-là, c’est clair.

Pascal Escoyez

Henri : Vos influences s’entendent bien sur Nature : progressif, World-Music et pop. Vous pouvez nous en dire deux mots ?

Pascal Escoyez : Oui, bien sûr ! Si je fais de la musique aujourd’hui, c’est grâce à un concert. J’ai eu la chance, quand j’avais 12 ans, de voir un des derniers concerts de Peter Gabriel avec Genesis sur la tournée The Lamb Lies Down on Broadway. Ca a changé ma vie. Je me suis dit : c’est ça ce que je veux faire…

Henri : Quand je serai grand !

Pascal Escoyez : Oui, quand je serai grand, tout à fait ! Après, inévitablement, j’ai suivi ce que Genesis a fait. Si j’ai bien aimé ce que Genesis faisait à cette époque-là, c’est parce que, quelque part, c’est un peu de la musique classique contemporaine. Et ils sont tous à un tel niveau ! Que ce soit Tony Banks aux claviers ou Steve Hackett à la guitare, auquel je vous une grande admiration, parce qu’il n’a jamais mis la technique en avant, la virtuosité, mais avant tout la musique. Ca m’a séduit parce que je trouvais là une manière de m’exprimer contemporainement avec mon bagage de musique classique. C’est ce qui m’a amené vers le progressif. Après, Gabriel, j’étais bien triste qu’il parte, mais ça m’a permis de le suivre. Et je suis content qu’il l’ait fait parce qu’on n’aurait pas eu tous les albums de folie et tout ce qu’il a amené dans la musique. S’il y a une personne à laquelle je voue de l’admiration, c’est bien lui ! Un grand monsieur, à chaque fois, il fait quelque chose de différent, il prend des risques. C’est l’exemple à suivre.
Quand les années 80 sont arrivées, j’ai suivi des groupes pop comme Tears for Fears, Duran Duran, Simple Minds, et puis après Sting, tous ces gens qui pour moi, font de la musique où l’harmonie est présente, peu importe le courant.

Henri : On sent chez vous un adorateur de musique sensible. De même, vos textes sont très sensibles : la nature évidemment, mais aussi les relations humaines et notre place dans le monde. Comment se passe l’écriture des morceaux ?

Pascal Escoyez : Je commence toujours par la musique. Et ce que je recherche principalement, c’est vrai, c’est une émotion. C’est ce qui m’a toujours plu. Bien sûr, l’énergie est présente, mais l’énergie sert un message. Après, j’ai souvent une série de thèmes que je veux traiter. Et souvent, la musique me fait penser à tel ou tel thème. Et puis le texte se peaufine jusqu’à la dernière minute souvent. Un mot pour un autre, j’essaie de faire du mieux possible, ce n’est pas dans ma langue maternelle. Bon, je suis parfaitement bilingue, mais on a toujours un doute sur ce que l’on veut exprimer dans une autre langue que la sienne… Bref, j’essaie de faire du mieux possible en anglais…

Henri : Vous avez travaillé avec des musiciens de différents horizons, mais vous avez également déniché quelques artistes locaux (batteur et chanteuse). On vous appelle le dénicheur ?

Pascal Escoyez : Non… Un des premiers gros projets qu’on a fait au studio, le batteur, Alain Merlingeas, faisait partie du groupe. J’ai toujours aimé ce style de batteur, les batteurs au toucher qui considèrent leur batterie comme un instrument de musique, et pas comme quelque chose de purement rythmique. Et lui, il a ça ! Mais à la base, il n’était pas du tout dans la même orientation musicale, alors on a beaucoup travaillé ensemble. Ça m’a fait un peu peur au début, parce que lui, il rentrait dans un monde qu’il ne connaissait pas, mais quand on entend comment il joue. Et il est de Périgueux, à 30 km d’ici ! Et Samantha (NDLR : Samantha Ferrando, chanteuse), on s’est rencontrés dans un restaurant où elle chantait un soir…

Pascal Escoyez

Henri : Puisque vous parlez de Samantha, on découvre aussi sur Nature un très bon chanteur, en plus de vos autres qualités. Vous êtes musicien à la base. Qu’est-ce qui vous a poussé à passer derrière le micro ?

Pascal Escoyez : Je ne sais pas en fait. Je voulais faire un album sous mon nom, alors faire chanter quelqu’un d’autre… Et puis, quand on écrit les textes, on a envie de les interpréter soi-même. Bon, je chantais un peu dans les groupes ou projets auxquels j’ai participé avant, mais je ne m’étais jamais retrouvé seul devant un micro. Dieu sait si c’est une expérience difficile. Le plus difficile, c’est le chant. Alors, peut-être que 8 ans, ça m’a permis d’atteindre ce niveau pour faire du mieux possible. Alors, maintenant, si on parle des concerts, me retrouver derrière un chanteur, ça c’est déjà fait. Être devant, ce serait la première fois… Mais c’est un défi intéressant, un challenge à relever !

Henri : On va en reparler… Vous avez aussi réalisé une longue vidéo sur le making-of de l’album. C’est un travail colossal (prise de vues, montage, etc.). Où trouvez-vous le temps ?

Pascal Escoyez : Là, ce n’est pas moi qui l’ai fait. C’est Christophe Henin, qui est vraiment LE partenaire sur cet album et qui a commencé par travailler comme ingénieur chez nous. On s’est très vite entendus sur la manière dont on pensait la musique. Même s’il n’est pas du tout musique anglaise, il est plutôt chanson pop, Goldmann, etc. Il a un projet qui s’appelle Zac Février qui est sorti presque en même temps que moi, et qui montre bien ce qu’il fait, avec beaucoup d’humour, beaucoup de second degré… Mais comme il est ingé, multi-instrumentiste, moi aussi, la façon de travailler les morceaux est la même, en commençant par la rythmique basse-batterie, un piano et une voix témoin, et après, on s’est retrouvés devant la console, avec chacun, qui une guitare, qui un clavier… Ah, si on faisait ça ? Et ça nous a rapprochés dans la façon de faire les choses.
Quand il a été question de faire ce making-of, on avait un terrain de rushs d’images, et lui se souvenait de ce qu’on avait fait. Il est très bon aussi en montage vidéo. Alors, je lui ai fait confiance à partir de la trame, et puis il avait la mémoire, par exemple quand Alain joue de la batterie, pour savoir où il en est dans tel morceau, etc. Si on avait donné ça à quelqu’un d’autre, ça n’aurait pas été aussi cohérent que ce que Christophe a fait. Et là, en 2 mois de montage, il a fait un travail de dingue. Je n’ai rien changé, tout était bon du premier coup ! C’était comme il sait l’être : intelligent…

Henri : Tout est intégré dans votre démarche, de la réalisation à la promotion. Comment se passe le démarrage des ventes et les retours des critiques ?

Pascal Escoyez : Pour l’instant, les critiques sont toutes très bonnes. Ce qui m’étonne, ce sont les tranches d’âge qui s’intéressent à l’album. A la base, c’est du progressif, une musique pas très commerciale, qui demande à être écoutée, je pensais intéresser les quadras et plus, mais pas de gens plus jeunes qui m’interpellent en me disant : c’est différent, vous avez quelque chose à dire… C’est un point de vue qui m’intéresse, ça me fait réfléchir !
Sinon, j’aime bien faire les choses les unes derrière les autres. On a de très bonnes ventes, 2 ou 3 radios, la promotion va se faire sur la longueur, je ne veux pas enchaîner les interviews, etc., et puis je ne suis pas connu…

Devant le Real World Studio (de gauche à droite : Christophe Henin, Alain Merlingeas, Pascal Escoyez, Silvano Macaluso, Andrew Kitchen).

Pascal Escoyez

Henri : On peut espérer vous voir sur scène pour interpréter Nature ?

Pascal Escoyez : Ca, c’est le prochain très gros challenge ! Probablement aux alentours de mars 2015. On est en train d’y penser. Pas nécessairement quelque chose de spectaculaire mais, encore une fois, vu le style de musique, il faut offrir quelque chose d’autre, sans moyens démesurés. Donc, il faut le faire de manière intelligente. J’aimerais que sur chaque morceau il y ait un petit quelque chose pour que les gens se souviennent : ah oui, vous avez fait ça sur tel morceau, etc., pour que l’image du spectacle aide à digérer la musique.

Henri : Un peu comme chez Genesis !

Pascal Escoyez : Oui, il y a un peu de ça. Mais c’était plus théâtral. Aujourd’hui, on va utiliser des petites choses techniquement simples. Créatif, mais pas disproportionné. La première scène sera sûrement le Centre culturel de Sarlat. Il y aura des boucles évidemment, mais la synchronisation du light-show avec la musique, etc., ça demande beaucoup de travail et je veux que ce soit aussi abouti que l’album et me faire plaisir, dans le sens : être prêt pour y aller. Pour cela, il faut travailler aussi la présence sur scène, des petites choses particulières pour avoir un public intégré au spectacle, avec des échanges… On a une set-list, le document technique est en préparation, voilà. On veut prendre notre temps. Mais pour répondre à la question initiale, même si cela fait un peu peur, le vrai partage, il est là, sur la scène !

Henri : Eh bien, on attend cette première date avec impatience, et si vous le voulez bien, Neoprog sera là…

Pascal Escoyez : Ah oui, oui !!!

Henri : De la même manière, prévoyez-vous une suite à Nature ? Et si oui, sur quel thème, avec qui et à quel horizon ?

Pascal Escoyez : Toutes questions que je me pose moi-même. Oui, évidemment, j’ai envie d’en faire un second. Ce ne sera pas une suite. Ce qui m’intéresserait, c’est d’avoir un produit hybride, quelque chose qui soit entre l’image et la musique. On a vu les capacités que nous avions à faire de belles images, et je pense que nous sommes dans un monde où l’image est de plus en plus présente. Alors, un produit qui ne soit pas purement de la musique sur des images ou inversement, c’est ce qui serait intéressant à développer comme concept. Pour les musiciens, bien entendu ceux qui ont participé à Nature en seront. On se connaît tellement bien maintenant, c’est tellement agréable de travailler ensemble, et ce sont de tellement "gros clients" au niveau musical que je ne pourrais pas m’en passer. Et je pense qu’ils sont tous candidats pour revivre les moments qu’on a vécus. Alors oui, il y en aura un autre… Ce sera peut-être plus acoustique, je ne sais pas, c’est le projet qui le décidera, mais oui, il y en aura un autre, définitivement oui !

Henri : Eh bien, Pascal, merci pour votre disponibilité et toutes ces informations qui devraient intéresser nos lecteurs à qui nous ne pouvons que conseiller l’écoute et l’achat de Nature, à notre sens un des grands albums de 2014.

Pascal Escoyez : C’était avec grand plaisir !

Site officiel : http://www.pascal-escoyez.com/Home.asp

Teaser :

Rédigé par Henri le 20/12/2014