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Interview de Gazpacho le 24/11/2015
Après un superbe live, Night Of The Demon, Gazpacho revient avec un nouvel album studio intitulé Molok.



Jean-Christophe : Bonjour, merci de répondre aux questions de notre Webzine. Tout d’abord, comment allez-vous ?

Gazpacho : Bonjour, merci de l’intérêt que vous portez à notre musique et notre travail, c’est important pour nous, et cela nous touche. Nous allons bien, merci de nous demander, mais comme beaucoup de personnes ici en Norvège, nous restons sous le choc des terribles événements qui se sont déroulés à Paris vendredi dernier. Nos cœurs sont brisés.

Gazpacho

Jean-Christophe : Depuis Night, vous n’avez sorti que des albums concept, pourriez-vous faire à nouveau un album classique ou bien le concept album fait désormais partie de votre marque de fabrique ?

Gazpacho : Je ne sais pas, nous nous disons toujours que nous prenons tout ce qui vient de la musique, d’où qu’elle vienne, et nous n’essayons jamais consciemment de faire un certain type d’album. Nous nous laissons juste porter et accueillons positivement ce qui vient. Nous avons parlé d’un double album pour notre production suivante: un CD avec des chansons, un CD avec une seule chanson très longue, mais seul l’avenir le dira !

Jean-Christophe : Night parlait de la frontière entre rêve et réalité, Demon de la quête du mal, que raconte Molok, la machine à calculer l’avenir ?

Gazpacho : Molok parle de la rivalité entre les deux facettes de notre esprit, entre le côté rationnel et le côté émotionnel. Ces deux faces ne peuvent jamais coexister pacifiquement dans notre conscience, du coup nous sommes toujours en état de tension mentale. C’est la raison pour laquelle le personnage principal de l’histoire décide de construire cette machine, ‘Molok’, pour approuver ou réfuter Dieu qui, lui, est du côté romantique et émotionnel de l’esprit.

Jean-Christophe : Pourquoi avoir situé l’histoire de Molok en 1920 ?

Gazpacho : D’après mes recherches, un groupe de philosophes s’est formé pour revisiter la conception mécaniste du monde aux alentours des années 20. Ajoutée à la Théorie de la Relativité, cette conception matérialiste et scientifique permet donc pour quelqu’un de construire de manière réaliste une machine comme Molok. Nous voulions que cette machine soit un truc mécanique, et non un ordinateur. Nous savions donc que nous devions situer notre histoire avant les années 40.

Gazpacho

Jean-Christophe : Comment trouvez-vous vos idées de concept ?

Gazpacho : Les concepts viennent d’une manière naturelle tout au long de la conception de l’album. Je passe beaucoup de temps à écouter et à travailler les démos. De temps en temps j’ai une idée qui fuse, et je m’empresse de l’oublier tout de suite exprès. Après plusieurs mois mon subconscient a fait son travail, l’idée a pris forme, et c’est à ce moment que je suis prêt pour continuer le travail qui a mûri. Pour un être humain sur cette Terre, vivant dans une enveloppe corporelle qui fonctionne parfaitement – et en termes de machine on peut dire que ce corps en est une fanstastique -, l’inspiration est toujours un sentiment profond, un mélange du sens de l’émerveillement et de crainte. Je lis aussi beaucoup, et les années avançant, j’ai commencé à aimer quelques-uns des ‘vrais’ auteurs. Comme Marcel Proust pour la France, ou bien Ibsen en ce qui nous concerne. Ces deux écrivains peuvent nous en dire bien plus sur les êtres humains que n’importe qui d’autre, et leurs livres sont une source infinie d’idées.

Jean-Christophe : Demon, votre précédent album, jouait plus avec les influences de musique traditionnelle. Avec Molok, votre écriture revient au Gazpacho que nous connaissons mieux. Pourquoi ce revirement, est-ce lié à l’histoire que vous racontez ?

Gazpacho : Il y a aussi de la musique traditionnelle sur Molok, mais beaucoup plus ancienne étant donné que la plupart des titres de l’album incluent des instruments joués pendant la préhistoire. Ils ont été ajoutés par GjermundKolltveit, archéologue de musique, qui joue des instruments reconstitués tels que des lyres anciennes, des flûtes en os et des pierres musicales. Tous ces changements sont faits consciemment, car nous essayons de garder la musique au plus près, en accord avec les idées qui sont évoquées dans les albums.

Jean-Christophe : Pour revenir à Demon, c’est sans doute votre album le plus déroutant. Etes-vous satisfaits de l’accueil qu’il a reçu de la critique et du public ?

Gazpacho : Oui, très satisfaits. J’ai toujours clamé haut et fort que les gens sont vachement plus intelligents que le niveau de compréhension que les medias veulent bien leur accorder. Je travaille dans la publicité, un milieu dans lequel on dit, que - bien sûr jusqu’à un certain point – plus une chose est faite simplement, le mieux elle sera comprise et reçue par sa cible. Avec l’album Demon nous avions peur d’avoir été trop loin dans notre création. Nous avons créé un objet d’art, juste pour l’amour de l’art, sans avoir prêté attention à comment il aurait pu être compris ou non. Mais dans les chroniques que j’ai pu lire, dans les discussions que j’ai pu avoir avec nos fans après les concerts, dans les mails que j’ai reçus, il est évident qu’ils ont complètement compris l’album. Dans certains cas la compréhension, l’interprétation ont même été meilleures que nous, ceci avec une vérité et une acuité supérieure que ce que nous voulions provoquer par rapport aux idées et aux intentions originelles de nos chansons. Demon et Molok nous ont confirmé que nous nous adressons à un public très intelligent, qui est capable de faire avec les idées que nous lançons dans nos albums, et que nous leur soumettons. A la condition que le travail effectué soit authentique. Là est le test ultime de toute musique. Si elle sonne juste, vrai, c’est très bien, mais si elle est ressentie forcée, calculée, elle sera rejetée par celui/celle qui l’écoute.

Jean-Christophe : Les thèmes de vos concepts semblent être de plus en plus sombres. Est-ce le reflet de votre perception du monde actuel ?

Gazpacho : Probablement. Nous sommes des gars qui ne nous prenons pas la tête, nous rions beaucoup et prenons beaucoup de plaisir quand nous travaillons sur nos albums. Mais la vie a des côtés sombres, nous allons finalement tous mourir un jour ou l’autre, et nous gardons toujours un œil sur ces vérités fondamentales. Même si les temps sont particulièrement sombres avec ces derniers événements, nous ne délivrons pas de message politique, sous aucune forme, et ne nous intéressons pas du tout à la politique en elle-même. L’exemple que l’on pourrait prendre en ce qui concerne notre positionnement est l’histoire de cette femme qui a été récemment prise en train de scier la jambe de sa mère congelée. La fille voulait juste enterrer sa mère dans la forêt, un comportement en conformité avec les souhaits finaux de celle-ci, plutôt qu’issu d’une volonté ou revendication politique quelconque.
Cette histoire est dans un sens triste, mais dans un autre sens - assez macabre je vous l’accorde - très beau. Elle est en effet le reflet d’une aliénation entre d’une part un désir naturel d’enterrer quelqu’un que vous aimez dans l’endroit où il veut reposer en paix, et d’autre part l’impossibilité d’une liberté normale dans une société industrielle moderne, où des millions de gens, habitant dans leur appartement comme des sardines dans leur boite, passent leur vie dans des bureaux glorifiés, à travailler jusqu’à en mourir pour pouvoir se payer le luxe de vivre dans leur boîte.

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Jean-Christophe : Quel a été l’album le plus facile, et le plus difficile à créer ?

Gazpacho : Croyez-le ou non, le plus facile a été Demon, et le plus difficile Molok, avec lequel nous avons eu beaucoup de difficultés et avons pris beaucoup de temps pour trouver à la fois un mixage et un son qui nous convienne.

Jean-Christophe : Marillion a eu un rôle important à vos débuts. Avez-vous toujours des relations avec les membres du groupe ?

Gazpacho : Nous sommes très copains avec Steve Hogarth qui est une crème, une personne exceptionnelle et authentique. Il vient à Oslo en Décembre prochain, et nous nous rencontrerons autour d’une bière et de quelques burgers.

Jean-Christophe : Gazpacho ne fait pas dans le rock spectacle à l’inverse de Flying Colors par exemple. Jan garde ses lunettes et reste très sobre sur scène, les autres musiciens se concentrent sur leur jeu plutôt que de faire un spectacle. Pour quelle raison êtes-vous ainsi en live ?

Gazpacho : Nous ne croyons pas à une quelconque éthique de rock star. Nous croyons aussi que le musicien, le chanteur devraient travailler dur pour ni outrepasser ni se mettre au-dessus de la musique. Après les spectacles nous aimons bien sortir, discuter avec notre audience, et ainsi remercier tous nos fans pour leur venue. Ce n’est que du bons sens, c’est juste notre manière d’être.


Gazpacho

Jean-Christophe : Est-il facile de jouer votre style de musique en Norvège ?

Gazpacho : La Norvège est un pays dans lequel il est difficile de jouer, car il compte très peu d’habitants - 5 millions – qui sont dispersés sur un long territoire. La distance de haut en bas du pays correspond à la distance qui sépare Oslo de Rome ! La presse norvégienne est très petite, et a tendance à passer son temps à écrire des articles sur quel groupe hipster est le plus en vogue à un moment donné. Pour cette raison les groupes les plus intéressants chez nous ont au mieux très peu de visibilité, au pire aucun article dans la presse.

Jean-Christophe : Quel souvenir gardez-vous de votre passage à Night Of The Prog en 2008 ?

Gazpacho : C’était un moment de plaisir intense et de fierté, ces moments me manquent occasionnellement. Nous nous sommes bien amusés pendant le concert, la scène de la Loreleï est cool et située dans un endroit magnifique. Il faudra qu’on le refasse très bientôt je pense.

Jean-Christophe : Pour promouvoir votre nouvel album Molok, vous venez de tourner dans des pays tels que la Pologne, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume Uni, la Norvège. Avons-nous une chance de vous voir en France prochainement ?

Gazpacho : Nous avons décidé de venir à Paris pour notre prochaine tournée. S’il y a assez de monde, la France sera de retour dans notre liste en tant que repaire scénique régulier. Ma fille a été conçue à Paris, et nous avons tous un amour particulier pour cette ville et la France.

Jean-Christophe : Merci pour votre temps.

Gazpacho : Que tout l’amour du monde vous entoure.

Gazpacho

Rédigé par Jean-Christophe le 24/11/2015