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Interview de Brieg Guerveno le 20/01/2020
Interview de Brieg Guerveno le cinq décembre 2019 pour parler de son album solo ‘vel ma vin qui sort aujourd'hui.



Jean-Christophe : Après Valgori, pourquoi as-tu voulu te lancer dans cet album solo ?

Brieg : Alors, solo, c’est vrai que le projet a toujours été à mon nom. Brieg Guerveno n’est pas le nom d’un groupe. Après Valgori j’ai fait moins de concerts​, j’ai eu un petit creux. Valgori était un album très bon dont je suis très fier, mais je pense qu’il a moins bien marché que les précédents en tournée, en partie parce qu’il est difficile à faire vivre sur scène et que lorsque tu fais ce genre de musique, il est difficile de trouver des dates. Et puis il y a des choses dans ma vie qui m’ont fait un peu lever le pied. Au même moment j’ai fait une première partie avec Klone en acoustique à Paris et l’idée de l’album est née d’une discussion avec Guillaume Bernard (guitariste de Klone) qui me disait “C’est bien ce que tu fais en groupe, mais pourquoi tu ne ferais pas un EP, juste guitare voix ?”. L’idée a germé lentement. J’ai commencé à composer des morceaux et au fur et à mesure de cette écriture j’ai réalisé que ce n’était pas évident de faire un album purement acoustique. J’avais envie d’aller plus loin dans la composition, et du coup j’ai commencé à adjoindre d’autres instruments, à arranger les titres, à inviter des gens sur le disque, et c’est comme cela que ça s’est fait, petit à petit. C’est un disque assez court, pensé pour le format vinyle. J’ai pris mon temps, il m’a fallu deux hivers pour le composer.

Brieg

Jean-Christophe : Du coup, qu’est-ce qui est le plus difficile d’écrire, une musique acoustique relativement épurée ou un rock progressif chargé d’instruments ?

Brieg : La façon d’écrire Valgori et ‘Vel ma vin n’est pas du tout la même. Par le passé, j’ai toujours travaillé avec un groupe. J’arrivais avec des idées et nous les développions ensemble. Nous étions trois cerveaux à composer et à arranger. J’arrivais avec la matière et on formalisait tout ça ensemble. Dans ce trio nous avions tous une culture metal progressive. Valgori n’est pas forcément l’album le plus personnel que j’ai pu faire, c’était un peu un rêve d’adolescence. Nous, les petits bretonnants que nous étions, rêvions d’avoir des groupes comme ça, chantant en Breton. Je l’ai fait plus pour la langue bretonne que pour moi-même. J’avais vraiment envie de faire un album rock metal abouti qui déchire sur scène et qui ait de la gueule. Là-dessus, je n’ai pas à rougir, on y est parvenu.

Jean-Christophe : Oui clairement.

Brieg : Mais ‘Vel ma vin c’est différent. J’ai tout fait tout seul. La composition, les textes, les arrangements, hormi​s un morceau où j’ai demandé à Joachim Blanchet de m’aider (il est le batteur qui joue sur Valgori, un producteur et travaille dans un studio à Carhaix). C’est lui qui a produit l’album et m’a aidé à peaufiner des parties de claviers. De même Bahia, la violoncelliste, a revu et harmonisé mes parties MIDI de violoncelle. J’ai quand même été aidé un petit peu, mais dans l’ensemble c’est un album beaucoup plus personnel. J’ai démarré l’écriture en laissant aller les choses, pas en me disant “Tiens je vais faire un album de rock metal progressif en Breton” ou comme pour Ar Bed Kloz, un album de rock avec des influences celtiques. Là c’était vraiment tel que je suis, ce qui sort de moi quand je prends ma gratte, ce qu’il y a de plus sincère en moi en fait. C’est peut-être pour cela que sur cet album j’ai énormément de retours disant que c’est mon meilleur album, parce que c’est le plus sincère, le plus proche de moi. Il n’est pas du tout technique. Il est comme la musique que j’écoute et affectionne aujourd’hui parce que je n’écoute plus vraiment de metal. J’écoute encore la scène progressive, mais je suis plus proche aujourd’hui de la musique folk, ambiante, et ça se traduit aujourd’hui par cet album.
Deux processus vraiment différents​ donc.

Brieg

Jean-Christophe : Effectivement, comme tu le dis, on sent dans ce nouvel album ton âme connectée avec la musique.

Brieg : Oui c’est ça. Quand j’étais ado j’écoutais du black metal, j’étais plus Burzum que Mayhem tu vois, j’étais plus Filosofem et ces trucs là, hyper ambiants, ça me parlait plus, et plus tard j’ai été plus rock que metal. Quand tous mes potes écoutaient Cannibal Corpse et tout ça moi j’écoutais Alternative 4 de Anathema. En 1998 j’étais à fond dans Paradise Lost. Même quand j’écoutais du metal j’étais toujours un peu plus rock, sans doute parce que petit j’écoutais les Beatles, Pink Floyd et tout ça. C’est plus ma culture que le gros metal qui tache (rires). J’étais beaucoup sensible à des choses comme Sigur Ros ou Ulver, des groupes qui sortent du pré carré quoi.

Jean-Christophe : Tu chantes en Breton. Quelles sont les raisons qui te poussent à choisir cette langue : amours des sonorités de la langue, militantisme régional, une manière pour toi de te différencier de la scène prog française qui chante en anglais ?

Brieg : Adolescent, je chantais en anglais dans mes premiers groupes. Mais le Breton est ma deuxième langue depuis que je suis tout petit. Lorsque tu es chanteur dans un groupe, la question de savoir dans quelle langue tu vas chanter se pose à un moment donné. Il se trouve que je comprends assez bien l’anglais mais que je ne le parle pas très bien.
Il me reste les langues bretonne et française, donc forcément c’est la langue de l’enfance, la langue de coeur qui parle avant, malgré que je ne m’interdise pas un jour de chanter en Français ou en Anglais.
Militantisme ? Oui et non. Si à une période de ma vie ça a pu être un leitmotiv, ça l’est beaucoup moins aujourd’hui. Chanter en Breton c’est déjà une forme de militantisme… On ne cesse de nous renvoyer une image désuète des langues dites « régionales », alors que ce sont des langues qui ont leur beauté propre. Lorsque je fais écouter mon disque à quelqu’un qui a comme seule représentation de la langue bretonne, les tri yann et Nolwenn Leroy et qui part d’emblée avec l’idée que ça ne lui plaira pas mais qui est finalement séduit. Je me dis que ma musique parle aux gens peu importe la langue et qu’à travers mon travail je me permet aux gens de voir les choses différemment.

Jean-Christophe : Tu a déjà parlé de tes influences musicales tout à l’heure mais pour la partie plus celtique justement, quelles sont-elles ? Car lorsque j’écoute ‘Vel ma vin je trouve que ta guitare sonne comme une harpe celtique.

Brieg : Souvent avant de faire un album j’écoute beaucoup de choses, et si je devais mettre en avant des influences celtiques sur ce disque je dirais Renaissance de la Harpe Celtique et Chemin de Terre d’Alan Stivell. Il ne faut pas oublier qu’Alan Stivell est le précurseur du rock progressif breton, preuve qu’il y en a eu d’autres avant moi (rires).

Brieg

Jean-Christophe : Lors de la première écoute de ‘Vel ma vin on se dit qu’il s’agit d’un album acoustique, et puis lorsque l’on plonge vraiment dedans on entend les traits de guitares électriques, les orgues vintages en arrière plan, on entend plein de choses qui ne sont pas du tout acoustiques de fait. Et l’album est un savant équilibre entre une première démarche acoustique qui a été enrichie ensuite de plein de chose venant du prog, des guitares à la Anathema, des orgues à la Opeth, on sent tout ça qui apparaît peu à peu dans l’album. Du coup il y a plein de niveaux d’écoutes.

Brieg : Ce n’est pas un album acoustique à proprement parler, puisque y a des morceaux comme ‘ ur wech adarre ‘ où il n’y pas de folk par exemple. Je n’ai pas voulu me limiter à un album acoustique qui ne me correspondait pas complètement. Je voulais aller plus loin que ça et proposer un univers plus dense. Difficile pour moi de concevoir un album sans clavier et sans guitares électriques…
Je ne voulais pas non plus que ce quatrième album soit reçu comme un album acoustique en marge de ma discographie mais bien comme un album à part entière et comme une évolution naturelle de ma musique.

Jean-Christophe : Justement, de quoi parles-tu sur cet album, ce sont des textes indépendants, il n’y a pas de concept ?

Brieg : Non il n’y a pas de concept. Des fois je commence par les textes, des fois la musique. Je me laisse aller à l’écriture. Je ne me dis pas “Je vais faire une chanson sur ça”; tu vois pour le morceau ‘Ur wech adarre’, j’ai pris ma gratte, j’ai mis de la réverb, j’ai trouvé l’idée et j’ai commencé à chanter des textes qui me venaient comme ça et hop, tac j’ai pris la feuille, j’ai écrit puis j’ai mis en forme. C’est allé très rapidement. Pour d’autres textes comme ‘‘Vel pa vefemp’ j’ai mis un peu plus de temps, pour trouver les bonnes intentions d’écriture en lien avec la musique. Dans l’ensemble, mes textes sont plutôt sombre ou rayonnante comme l’est ma musique.

Jean-Christophe : Un petit mot sur la violoncelliste qui t’accompagne, car c’est un instrument qui occupe une place assez importante sur cet album.

Brieg : Complètement oui. Quand j’ai commencé à travailler sur les arrangements je me suis demandé “Bon qu’est-ce qui serait possible comme arrangement ?”. Et tout de suite c’est le violoncelle qui m’est venu avec le piano. Bahia je la connais depuis Ar Bed Kloz où elle avait joué. Ca été très simple, je lui ai dit “J’ai un projet de disque, tu peux venir à la maison ?”. Elle est venue trois fois pour m’aider à faire les arrangements et après on a enregistré. Je lui ai donné une place importante dans l’album aussi parce que je me disais que ce serait chouette qu’en live on puisse faire un duo. Donc on va avoir des concerts en duo, en quatuor aussi avec Stéphane Kerihuel à la guitare, et Colin Goellaen à l’orgue et piano qui joue dans le groupe prog Moundrag que je te recommande, et puis j’ai eu une commande pour un concert assez exceptionnel en mars dans une chapelle à Saint-Brieuc où nous serons six, avec en plus une choriste et une violoncelliste. Du coup cela nous fera un groupe avec trois gars et trois filles et je trouve ça chouette !

Jean-Christophe : Tu as dit que tu allais tourner, tu as parlé de cette date bien tentante à Saint-Brieuc. Tu vas faire une tournée plus large, la galère des concerts en France comme d’habitude ?

Brieg : Oui. Je pense que pour cet album ça va être plus simple. Il y a déjà des dates qui se profilent pour 2020, mais cette fois je vais pouvoir proposer plusieurs formules, solo, en duo, quatuor ou six pour les grandes occasions. L’idée c’est de faire vivre cet album deux-trois ans pour me laisser le temps de revenir à la composition. Me connaissant je suis capable cette fois de partir sur tout autre chose (rires).

Jean-Christophe : C’est une qualité de ne pas rester enfermé dans un style comme pas mal de groupes actuellement.

Brieg : Je pense aussi, mais des gens me disent “Comment tu vas faire pour garder un public fidèle etc”, mais en fait mon petit public, parce que je ne suis pas très connu non plus, il reste fidèle. J’adore les artistes comme Ulver qui à chaque album propose des choses différentes. Dans l’histoire du rock, Iggy Pop ou David Bowie ont su proposer des choses différentes à chaque album, ce n’est pas nouveau. Pour le metal, c’est clair que c’est plus difficile de passer du brutal death à la pop (rires). Moi je ne m’interdis rien, je pense que l’aspect folk restera mais je me tournerais​ bien aussi vers la musique électronique.

Jean-Christophe : On attend d’écouter tes prochaines compositions alors. Merci beaucoup pour cette interview Brieg.

Brieg : C’est moi qui te remercie, à bientôt.

Brieg

Rédigé par Jean-Christophe le 20/01/2020