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Interview de Nord en confinement le 14/04/2020
Interview en confinement de Florent Gerbault du groupe Nord le 1er avril 2020 pour la sortie de leur album The Only Way To Reach The Surface.



Jean-Christophe : Bonjour Florent, comment vas-tu ?

Florent : Ben écoute ça va, ça commence à faire un peu long comme pour tout le monde, mais j’ai des guitares ici et ça m’occupe un peu de temps pendant la journée, et toi ?

Florent

Jean-Christophe : Moi je travaille, alors je deviens un peu moins fou que la moyenne (rires). Qu’est-ce que cela a entrainé pour vous ce confinement, des annulations de concerts ?

Florent : Oui des annulations de concert. Nous sortons notre album dans une semaine, en plein confinement et nous n’avons pas eu le temps d’annoncer de dates qu’au final elles sont déjà annulées. C’est un peu bête de sortir un album sans faire de concert. Là nous avons dans l’idée de rebooker ça en septembre ou octobre, mais comme tu peux l’imaginer il y a beaucoup beaucoup de monde qui essaye de faire la même chose. Donc on va essayer de jouer entre septembre et janvier 2021, pour exister sur scène. La release party se fera en septembre.

Jean-Christophe : Et pendant ce temps là, vous composez, chacun dans votre coin ?

Florent : Manu, le deuxième guitariste, qui habite lui à Lilles, compose régulièrement. On s’envoie des fichiers, on essaye d’écrire un maximum aussi, on avance tranquillement sur un troisième album même si ce n’est pas le sujet du moment.

Jean-Christophe : Votre nouvel album The Only Way To Reach The Surface est un concept album si je ne m’abuse. De quoi parle-t-il dans les grandes lignes, d’amour ?

Florent : Sans partir trop loin, notre premier album traitait du deuil sous toutes ses formes, le deuil amoureux, la perte d’un être cher, la désillusion dans le travail, etc. et quand je me suis posé sur les textes, je me suis dit qu’après avoir abordé des thèmes sombres il fallait écrire quelque chose qui permette de remonter à la surface après s’être noyé dans un deuil. L’album a beau s'appeler The Only Way To Reach The Surface, chaque chanson propose “une solution” pour remonter à la surface : penser à soi, le burnout, un nouvel amour... C’est une sorte de défouloir et c’est aussi la raison pour laquelle on a joué énormément de riffs différents. C’est un album qui parle du "lâcher prise” tout simplement.

Jean-Christophe : Il y a deux points de vue dans le récit, il y a le “dessus” et le “dessous”.

Florent : Oui c’était une façon de travailler sur les non-dits. Au dessus de l’eau c’est ce que l’on montre au gens et sous la surface c’est ce que l’on se dit en nous-même. Par exemple il y a ce morceau ‘The Unstoppable’ avec le Désiré le chanteur du groupe Messaria. Lui, ce qu’il va chanter en screamant, c’est ce qu’il aimerait dire, et tout ce qui est chanté en chant clair par moi-même, c’est ce que l’on dit dans la vie. Dans les textes, je mets beaucoup de mes expériences personnelles, mais après, chacun pourra interpréter ça à sa manière.

Jean-Christophe : Tout particulièrement sur cet album, votre musique est faite de très forts contrastes, passant de la douceur au growl, au djent. Qu’est-ce qui vous a conduit à cette écriture très organique ?

Florent : De base on écoute tous beaucoup de metal, beaucoup de hardcore, et quand nous avons tourné nous nous sommes retrouvés avec des groupes qui étaient plus proche de la musique très violente que de la pop. Même si le chant était clair sur le premier EP et que nous étions relativement posés, il y avait quand même de gros riffs qui avoinaient. A un moment, comme je parlais tout à l’heure de “lâcher prise”, on s’est dit, “on y va, on assume que l’on adore le metal, qu’on n’est pas juste une sorte de groupe de post-rock qui ne veut pas aller plus loin”. Et il y a eu également des retours que l’on a eu pendant des concerts qui nous ont encouragé dans ces choix : “Ah c’est dommage qu’il n’y ait pas du scream, que vous n’alliez pas plus loin...”, alors nous nous sommes dit, écrivons des choses, nous verrons si nous les enregistrons ensuite. Nous sommes partis sur des compositions complètement barrées et ça nous va très bien comme ça.

Jean-Christophe : J’ai l’impression que vous vous êtes vraiment trouvés sur cet album si je compare avec vos précédents morceaux. Et c’est réussi !

Florent : Merci ! On a toujours été à la recherche d’une signature, c’est ce que tout groupe recherche je pense. Avec ce deuxième album j’ai l’impression que l’on commence à se rapprocher de quelque chose qui nous ressemble vraiment.

Jean-Christophe : Du coup comment vous définissez-vous maintenant. On ne peut plus parler de post-rock, alors ? Math rock, alternatif, metal ?

Florent : C’est vraiment dur. En soit, on aimerait dire que nous jouons du metal progressif parce que c’est ce qui rentre le plus dans les cases, mais le problème, même si j’adore le metal progressif façon Dream Theater, c’est que le côté rock prog à l’ancienne ne colle pas du tout à notre musique. Donc on a envie de dire math rock prog, mais le mot “prog”, on en a encore un peu “peur”.

Jean-Christophe : Vous êtes plus près d’un Leprous/Gojira que d’un Dream Theater. Quelles sont vos influences ?

Florent : On va dire The Ocean, Mastodon, Between The Buried And Me avec leur riffs, leur côté math core progressif.

Jean-Christophe : Vous passez de guitares quasi post-rock pour basculer sur de gros riffs puis du scream, ça change tout le temps, c’est très déstabilisant, impossible de s’ennuyer en vous écoutant.

Florent : C’était l’idée oui. J'espère que nous y sommes arrivés.

Jean-Christophe : L’album est né d’un crowdfunding. Est-ce un modèle obligé aujourd’hui pour sortir un album ?

Florent : Alors je ne sais pas si c’est un modèle obligé mais ce qui s’est passé pour nous c’est que nous avions déjà enregistré et mixé l’album. On a créé un crowdfunding pour vendre l’album en fait. Je ne crois pas que l’on soit obligé de passer par ce genre de financement mais là on voulait donner le maximum, que ce soit dans le matériel, les lumières de scènes, le merchandising. Cela permet d’amortir un peu les frais, environ quinze pourcents de tout ce que nous avons investi financièrement dans le projet. C’est dur d’exister sur Facebook, Instagram et cie, et le crowdfunding nous a donné une certaine visibilité.

Jean-Christophe : Et quels sont les avantages et inconvénients du crowdfunding selon toi ?

Florent : Nous avons un peu l'impression de courir après les gens et de mendier alors qu’en soit c’est juste une boutique en ligne dans le sens où les personnes donnent de l’argent et récupèrent quelque chose. Là où c’est compliqué, c’est que notre album a beau sortir dans une semaine, notre opération de promotion dure depuis plus d’un mois et ce n’est pas évident de tenir une promo, de poster régulièrement des choses, ça implique d’être beaucoup plus efficace en communication. C’est un travail de com que je n’avais jamais fait auparavant et qui personnellement n’est pas spécialement ce que j’aime le plus (rires).

Florent

Jean-Christophe : On va revenir à l’album, est-ce que tu pourrais me parler des sérigraphes qui illustrent l’album car c’est pour le moins énigmatique ?

Florent : On a rencontré Thibault Cogez qui a illustré l’album au BetiZFest à Cambrai. Nous sommes tombés amoureux de son travail. L’idée était de traiter de l’amour, avec un fond noir pour rappeler le métal, et le rose pour avoir un contraste qui existe avec la musique. On lui a laissé carte blanche. Je lui ai envoyé les démos et il nous a proposé cette face avant où il y a des vagues, et cachés au milieu, pour la petite anecdote, ce qu’il a appelé des “vagues vagins”. En fait personne ne les voit, mais si tu regardes bien, le dessin suggère des formes de vagins dans les vagues (rires). Il y a aussi des visages dessinés.

Jean-Christophe : Effectivement, je les vois maintenant que tu le dis (rires).

Florent : Et pour le dos, chaque moyen d’atteindre la surface a droit à sa propre sérigraphie, le coeur pour l’amour, le serpent pour le sexe, une tornade pour la bipolarité… On est très content du résultat.

Jean-Christophe : Tout autre chose, comment tu arrives à gérer le passage du chant saturé au chant clair sans te détruire les cordes vocales ?

Florent : C’est compliqué, j’admets que c’est compliqué. Par chance j’ai un compère guitariste qui screame également. On travaille en décalé sur scène pour avoir un effet de masse. Mais heureusement, je n’ai pas tant de passages saturés que ça, il y a suffisamment de sections instrumentales et de chant clair pour que ce ne soit pas éprouvant. Le chant clair ne me fatigue pas sauf quand je pousse comme un malade mais c’est assez rare, ça reste très planant.

Jean-Christophe : Et en live ?

Florent : En live ça va être plus massif, pas de sample, plus organique.

Jean-Christophe : Est-ce que c’est facile d’être un groupe en France actuellement ?

Florent : C’est une tanasse ! (rires) Non ça n’est pas facile. Il y a beaucoup de groupes qui mériteraient de se démarquer, mais on a beau avoir des festivals comme le HellFest, des festivals qui appellent à ce que le metal existe en France cela reste vraiment vraiment difficile de faire venir les gens aux concerts, de produire de la musique. Là nous avons eu de la chance parce que Guillaume de la Klonosphere nous est un peu tombé dessus par hasard, mais en soit c’est vraiment dur d’exister. Même là pour booker des concerts parfois dans des petites salles, limite dans des caves et des petits bars ça devient une tanasse, alors que quand j’étais ado, il y dix ans, et que j’essayais de faire du metal avec mes potes, on arrivait à se booker bien plus facilement. La demande est forte. Sinon être un groupe en France, à partir du moment où tu te bouges et te motives, tu t’en sors avec le minimum syndical, mais se détacher, aller jouer à l’international et sortir du territoire...

Jean-Christophe : Comment Light Deflection est-il devenu Nord et pour quelles raisons ?

Florent : C’est la question piège ça (rires) ! Le nom Light Deflection existait lorsque l’on a commencé le groupe. On faisait alors de la pop acoustique. Et quand nous avons sorti notre premier EP, nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas changer de nom parce que ce n’était déjà plus nous, on avait changé de batteur, de musique. Ça nous ressemblait tout simplement plus, alors quand nous avons sorti le premier album, nous avons choisi Nord, parce que c’était plus court, même s’il y a beaucoup beaucoup de concurrence avec ce nom (rires). C’est un nom qui nous lie car nous sommes trois sur quatre à venir du nord dans le groupe.

Jean-Christophe : Pour finir. Une fois déconfinés, quel sont les projets ? (rires)

Florent : Les projets c’est de jouer, jouer en concert le plus vite possible pour rattraper le temps perdu, ce qui va être compliqué, mais on y travaille comme je te le disais au début. Peut-être commencer à produire des lives filmés. On va essayer d’exister le plus possible pour permettre à cet album d’exister. Toujours essayer de monter d’un cran dans le monde de la musique. On va juste essayer de ne pas s’écraser.

Jean-Christophe : On voit que Klone vient de signer un album avec Kscope, donc tout peut arriver.

Florent : C’est largement mérité, on se demande même pourquoi ça n’est pas arrivé plus tôt. On croise les doigts, ça prendra le temps que ça prendra, le nombre d’albums qu’il faudra, mais on avance.

Jean-Christophe : Merci beaucoup pour cette interview, ce moment avec toi, j’espère vous voir sur scène et encore bravo pour votre album, j’adore.

Florent : Merci beaucoup !

Florent

Rédigé par Jean-Christophe le 14/04/2020