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Live report du 27/07/2016 - Steven Wilson au ZMF
Il n'y a pas besoin d'aller à l'autre bout de la terre pour faire encore et toujours de belles découvertes. Cette fameuse règle s'est encore vérifiée avec le Zelt Musik Festival (ZMF), festival qui existe depuis maintenant plus de trente ans sur Fribourg, et que je découvre seulement cette année (!!!). C'est en m'apercevant par hasard avoir raté une apparition de Ludovico Enaudi (rappelez-vous, le piano de la BO du film Intouchables), en concert au ZMF cette année, que mon radar a accroché le concert de Steven Wilson. N'ayant encore jamais assisté à un show du petit génie, pas besoin de dire qu'il s'est juste écoulé quelques heures entre la découverte de l'information et le billet du concert en poche. Faute de grives, on mange des merles, et quel merle ! En l'occurrence c'est plutôt un corbeau que je verrai ce soir sur écran géant en fond de scène.

Zelt Musik Festival
Credit photo Klaus Polkowski

La première édition du ZMF remonte à 1983. Se déroulant en Juillet sur plus de deux semaines, le ZMF propose un programme très éclectique : pour cette année plus de 150 manifestations d'artistes du monde entier mélant classique, jazz, hip-hop, pop, Orient et Occident, tradition et modernisme, stars et jeunes pousses, ont été programmées. Pour vous donner une idée, citons, entre autres nombreux artistes des festivals précédents, Cesaria Evora, Alice Cooper, Yann Tiersen, The Royal Philharmonic Orchestra, Kool and the Gang, Youssou N’Dour, James Brown, etc. Il y en a pour tout le monde, les enfants et la famille n'étant pas en reste avec jeux et animations culturelles. Quels que soient vos goûts musicaux, il y a de grandes chances que vous y trouviez un événement qui vous correspond. Ajoutons un bon équilibre entre concerts gratuits et payants, ces derniers étant en général joués sous le grand chapiteau (Zirkuszelt), et le panorama est complet. Pour ce qui est du prog, Colosseum et Manfred Mann’s Earth Band sont venus jouer à Fribourg respectivement en 1994 et 1998.

Steven Wilson ZMF

Il faut juste quelques minutes de navette - qui emprunte pour la bonne cause voie de tram et piste cyclable - pour arriver sur le site. Je suis sur place vers 18:00. Le site, entre nature et ville, ressemble à un petit village circassien bien tranquille. C'est d'ores et déjà une belle surprise. Une grande allée d'où se distribuent chapiteaux, grandes tables ombragées, buvettes et bars, échoppes (de la currywurst au glacier, en passant par le bar à vin et la flammekueche), et deux grands restaurants classiques. Un petit chemin mène vers un monticule qui permet de surplomber tout le site. De nombreux espaces sont aménagés et permettent de flâner : petits amphithéâtres pour voir les scènes, beach bar, jeu d'échecs géant, transats et poufs ombragés dans lesquels il est impossible de s'extirper une fois qu'ils vous ont happé. Bref, il y a tout ce qu'il faut pour passer un moment très agréable.

Steven Wilson ZMF

Les portes du chapiteau ouvrent à 18:30, la courte attente a été agrémentée par le groupe Saxobeats qui joue à côté et revisite quelques standards incontournables (Al Jarreau, Earth Wind and Fire, Michael Jackson pour ne citer qu'eux). Je me sens comme une fourmi à l'intérieur de cet immense chapiteau rouge aux quatre mats métalliques sans fin. La scène éclairée en bleu tamisé est énorme, le parterre immense, et les gradins tout aussi gigantesques forment un U autour de la place centrale. Les sorties de secours ont été ouvertes afin de ventiler au maximum l'intérieur du cirque, qui est une grosse fournaise.

Steven Wilson ZMF

Sur la scène les instruments attendent sagement leur heure : neuf guitares sont alignées en rang d'oignon sur deux racks - ce qui donne une idée du niveau de la soirée – et je crois en déceler encore une dizaine en backstage. Deux secrétaires en bois forment un cocon vintage pour les claviers de Steven et de Adam qui a de plus un Moog. Un impressionnant écran géant en led balaye toute la largeur de la scène et nous donne l'impression d'être dans une maison, derrière une grande baie vitrée qui s’ouvre sur la végétation et l'infini de la mer. Un inquiétant intrus fantomatique rôde dans les parages et nous lorgne lors de ses fugaces apparitions.

Steven Wilson ZMF

Steven, pieds nus comme à son habitude, arrive sur scène avec ses musiciens qui s'installent à leurs postes respectifs à 19:30 pile. Adam Holzman est aux claviers, en arrière-plan juste devant l'écran géant. Je retrouve avec plaisir Nick Beggs à la basse. Craig Blundell est aux fûts et Dave Kilminster à la guitare (NDLR: ces deux derniers remplacent en effet Marco Minneman et Guthrie Govan, en tournée avec leur groupe The Aristocrats). Le chanteur annonce que c'est le dernier concert de leur tournée européenne de Hand.Cannot.Erase. avant de partir notamment pour les Etats-Unis et l'Inde, et qu'il va s'attacher à ce que concert soit excellent pour cette dernière.

Et c'est parti pour un décollage immédiat vers les étoiles avec en friandises quelques titres du dernier album. Le son est énorme, les réglages ont été faits aux petits oignons, l'oreille arrive à distinguer parfaitement tous les instruments. Waow. La soirée va être énormissime et aussi très très chaude. Les quelques photographes qui ont eu le précieux sésame ne perdent pas une miette de lumière pour les quelques minutes de shooting autorisé aux pieds des artistes. Je suis carrément satellisé, la chair de poule s'invitera régulièrement au gré des titres de ce concert. Avant d'entamer 'Index', Steven demande si nous ne souffrons pas trop de la température, demande qui a besoin d'eau et envoie une bouteille dans les premiers rangs où se sont levées quelques mains. En fait tout le monde a besoin de liquide, heureusement que la buvette n'est pas loin. Le britannique a tout prévu, il a deux emplacements prévus pour verres et bouteilles sur son coffret secrétaire à claviers.

Steven Wilson ZMF

Lazarus est dédié à David Bowie. Steven glisse quelques mots sur cette année noire pour le rock, notamment les pertes de Prince et David, évoque l'apport de ces artistes aux 70’s et 80’s, l'importance et l'influence que ces deux chanteurs ont eu pour lui. Ce concert est du petit lait, la musique entre par tous les pores de ma peau, la maxime d'Eckart Tolle ne peut être plus appropriée qu'à ce moment du concert. ‘Home Invasion’ est un grand moment jouissif de défoulement personnel. Quelle batterie ! Drôle de sensation, je sens à ma surprise les basses qui s'impriment dans les jambes et les mollets, faisant frémir ma pilosité virile irrésistible ;-). En général on a les basses qui résonnent dans le cœur ou dans la poitrine, ici il semblerait qu'elles ont été mises sous la scène, diffusant au niveau du sol. Bravo, ça évite de nous exploser les tympans.

Les clips correspondant aux titres sont diffusés sur l'écran, les musiciens sont tous à l'unisson, Craig a un grand sourire et s'amuse, Adam est concentré sur ses claviers, Dave part régulièrement aussi sur une autre planète pendant ses accords. Difficile de voir le visage complet de Steven avec ses cheveux qui le cachent la plupart du temps. Bras tendu, index pointé vers le bas, paume s'ouvrant ou se refermant, le chanteur bat régulièrement avec son bras et d'une manière totalement organique les changements rythmiques des titres. La musique colle au dixième de seconde aux images diffusées. Je ne sais pas comment ils font, c'est du très grand art. Du professionnalisme à l'état brut. Les soli de Moog et de guitare de Regret#9 injectent une dernière dose de notes qui m'explosent définitivement la tête. Steven glisse un petit "Anyone's melted ?" entre deux titres. Ce chapiteau est devenu Wilsauna-ien. L'organisation distribue des bouteilles d'eau au premier rang qui passent de main en main aux destinataires. La phrase est une prédiction, je finis par me liquéfier complètement avec ‘Happy Returns’, mes voisins doivent penser que je deviens fou, ou que je vais m'évanouir au choix.

Steven Wilson ZMF

C'est maintenant le moment pour Steven de nous présenter sa petite bande, "The most miserable musicians in the world", et au registre des mimiques supposées inspirer la pitié au public hilare, c'est Nick qui remporte la palme. Avec cet humour bien british, il nous demande si nous connaissons un certain Zucchero; car d'après ce que j'ai compris il semblerait que l'italien louera bientôt les services de Craig, Dave, ainsi que Dave Salt, son tour manager qui vient saluer brièvement depuis la scène.

Les titres s'enchainent, mélangeant les morceaux d'albums de Steven récents et passés, ainsi que de Porcupine Tree. Toujours en orbite, les moments les plus forts pour moi sont une impro métallique hallucinante de Steven sur 'Hate Me' avec la section circulaire du bottleneck qui frotte les cordes à la limite du chevalet, une section jazzy et groovante à souhait de Adam aux claviers, sans oublier le jeu subtil de Nick tout en caresses et velouté au Stick Chapman. Le regarder jouer et chanter longuement les yeux fermés est déjà un spectacle lui tout seul. Steven se perchera seul sur un tabouret devant la scène pour finir ce concert avec 'The Raven That Refused To Sing', apparaissant et disparaissant dans la lumière au rythme des paroles du titre.

Steven Wilson ZMF

Alors bien sûr il y a un rappel sous applaudissements nourris, et surtout il y a un bruit d'enfer sous ce chapiteau. Etant plutôt noyé devant la scène, je me retourne et m'aperçoit que la fosse et les gradins sont presque remplis, je ne m'en étais même pas aperçu. Après renseignements, ce sont 1 275 personnes qui ont pris leur billet pour cette soirée. Le premier rappel sera 'Space Oddity', bien sûr en hommage à David Bowie, et où Steven invite l'assistance à taper en rythme au moment opportun ("You'll know when to clap your hands. For those who don't know, watch and do like your neighbours").

La fin du premier rappel est l'occasion d'un petit monologue avec cet humour tout britannique qui nous fera bien marrer. Une personne gueule "Loving The Alien !". Visiblement elle a envie d'entendre un second titre de Bowie. Le britannique parle du groupe allemand Milky Chance, qu’il a visiblement découvert lors de sa tournée en Suisse. Il ne connaissait absolument pas ce groupe dont la popularité l’intrigue tout particulièrement. Les petites piques fusent : "Au concours du nom le plus horrible de groupe de musique, Milky Chance a de fortes chances d'être classé dans les tous premiers, voire le premier", "258 millions de vue sur Youtube. 258 millions ! Etant donné la population allemande, et après rapide calcul, chaque allemand a donc visionné en moyenne trois fois cette vidéo…comment est-ce possible ?" "Bon leur musique est bien, mais…comment dire ? Pour moi la musique allemande c'est Can, Tangerine Dream, Stockausen ! " "258 millions …. mais dans quel monde vivons-nous ?"

Alors on sent bien qu'il voudrait plus parler du devenir de la musique, de la course aux clics, au buzz et à la reconnaissance immédiate. En tout cas la transition vers le second et dernier rappel, 'The sound of Muzak' ("Music as a formal Prozac"), est largement faite. Le public demandera pendant de longues minutes encore un titre, mais ce coup-ci c'est vraiment fini.

Il est 21:45. Rideau.

Steven Wilson ZMF

J'ai oublié mes bouchons avant de partir, je n'ai même pas mal aux oreilles. Je n'en aurais pas eu besoin de toute façon. Encore une fois la preuve que les réglages son étaient parfaits. La fraicheur du dehors est bienvenue, le village circassien, avec toutes ses guirlandes d'ampoules allumées, est maintenant joyeusement animé par la foule. A voir le monde assis sur le talus à côté du grand chapiteau, un bon nombre supplémentaire de personnes a profité du son du concert. Je flâne encore une petite heure, profitant de la bière allemande et des currywurst à la sauce sucrée. J'ai envie de rester là, l'atterrissage va être très très dur. Alors promis je reviendrai.

Ce live report est-il un compte rendu impartial d'un chroniqueur, ou d'un fan inconditionnel qui s'est shooté aux riffs pendant plus de deux heures ? Le côté fan hystérique, ce n'est vraiment pas mon truc. J'aime bien la musique de Steven Wilson, mais je ne la porte pas aux nues - sûrement mon côté 'de la mesure avant toute chose'. La vérité est que je ne m'attendais pas à un concert aussi trippant. Un son impeccable, des musiciens qui assurent, une scène aux couleurs éclatantes, une setlist qui mélange des titres “solo” et de Porcupine Tree, récents et plus anciens, avec un excellent équilibre de titres métalliques nerveux et d'autres plus planants, plus intimistes. Un show professionnel de bout en bout.

Pour moi la force de Steven Wilson est, avec des sujets pas forcément joyeux, de faire appel à notre sensibilité, de nous émouvoir, et surtout de nous toucher en plein cœur. Et ça en live, c'est indescriptible. Incommensurable.

Je ne sais pourquoi ni comment, c'est la force mystérieuse de la musique. Alors si vous aimez ce qu'il fait, et si vous en avez l’occasion, allez voir Monsieur Wilson. Au moins une fois. La vie est trop courte.

Laurent (perdu dans la foule).
Steven Wilson ZMF

Setlist:

•Ancestral
•Hand. Cannot. Erase.
•Routine
•Index
•Lazarus (Porcupine Tree)
•Home Invasion
•Regret #9
•Happy Returns
•Harmony Korine
•Don't Hate me (Porcupine Tree)
•Vermillioncore
•Sleep together (Porcupine Tree)
•The Raven That Refused To Sing

Rappels:

•Space Oddity (David Bowie cover)
•The Sound of Muzak (Porcupine Tree)

Rédigé par : Laurent