Titres
Formation en 2017
Laurens De Cock [chanteur,guitariste], Keyvan Valamanesh [guitariste], Anton Hellemans [bassiste], Chevy Mathieu [batteur]
Entheogen est une jeune formation belge basée à Gand (sans L, ouf !), une ville étudiante qui se situe au nord-ouest de Bruxelles. Avec Other World, comprenant une introduction et quatre titres pour près de trente minutes de musique, le groupe propose un mini album de metal progressif, expérimental et selon une lecture du visuel qui m’est toute personnelle puisque je n’ai pas eu accès aux paroles, engagé écologiquement. Précisons d’entrée de jeu que si leurs travaux restent accessibles car suffisamment mélodiques pour accrocher l’auditeur, le chant quant à lui est du genre énervé, oscillant entre growls caverneux et poussées criardes. Les plus réfractaires à cette forme d’expression passeront certainement leur chemin, les autres trouveront sur cet EP des riffs très bien sentis (heavy, death, black, doom), techniques ou plus basiques mais astucieusement assemblés, ainsi que de longues et riches parties instrumentales qui viennent aérer l’ensemble.
Pénétrons cet ‘Autre Monde’ par le biais de son artwork coloré, surréaliste et hypnotique signé Aria Fawn. Pour en savoir plus sur la démarche de l’artiste peintre, je vous invite à découvrir sa galerie en tapant son nom dans un moteur de recherche.
Tout d’abord l’œuvre est à mettre en parallèle avec le patronyme choisi par le groupe. Les enthéogènes sont en effet des substances psychotropes aux propriétés hallucinogènes utilisées parfois à des fins artistiques (attention, je n’ai pas dit que tout ce beau monde en avait fait l’expérience !). En tout cas, on peut aisément imaginer à quoi pourrait ressembler un état modifié de conscience en se perdant dans les détails de cette peinture. Avec ses planètes de différentes couleurs flottant dans un nuage galactique turquoise et son tourbillon minéral qui encercle la scène, en passant par cet humanoïde à la noble quête dont le châle s’évanouit dans des volutes de fumée orangées, on ne peut qu’être impatient de découvrir l’univers musical ‘spécial’ des belges.
Ensuite, avec cet artwork, le groupe nous renvoie naturellement à nos responsabilités d’êtres humains et aux choix que nous avons désormais à faire pour préserver notre monde. Cette créature que l’on devine nomade interpelle. A la fois fragile, élégante et déterminée à protéger la vie ‘non retouchée’, devenue rare et précieuse, elle génère un véritable malaise. Son attitude, sa pose nous autorise à la regarder mais nous indique clairement de ne pas approcher, créant d’une certaine manière une barrière entre le spectateur incapable d’atteindre son niveau de conscience et son univers. On regarde, on respecte mais nous n’intervenons pas. Nous n’intervenons plus… Cet ‘autre monde’ ne sera pas sali comme le précédent. Indirectement, le même message suinte de la musique des Flamands. Ils nous charment, nous caressent de douces atmosphères sombres ou rassurantes mais lorsqu’on tente de s’approcher, nous écartent violemment. Un mur là aussi tient l’auditeur à distance. Ainsi, ‘Fade In’ débute par un solo opethien gorgé de feeling qui nous porte très haut puis le groupe calme le jeu avec quelques arpèges presque apaisants. Au moment où l’on tente d’accéder à cette autre réalité, la créature nous rejette en se mettant en mode doom death metal sévère. La sensation de se faire sermonner, de rappeler les dégâts que nous avons causés, est ici évidente. Mais le quatuor ne s’arrête pas là. Dans la seconde partie de ce titre, il dévoile toute sa détermination avec trois minutes au cours desquelles il balance un heavy black épique classieux. Nous regardons alors les belges s’élever au-dessus de nous, s’éloigner progressivement pour se mettre hors de portée et se rendre inaccessibles... Ce nouveau monde est aussi le leur et on ne touche surtout plus à rien, c’est clair non ? Une première composition déjà très mature finement dynamisée par Mathieu Chevy, un batteur au jeu inspiré, et sur laquelle plane le fantôme d’Opeth.
Un autre exemple particulièrement criant (je n’ai pas choisi ce mot au hasard …) de cette distance que le groupe nous oblige à respecter est incontestablement ‘Of Remembrance’ et ses six minutes de pure folie. La véhémence du chant associée à un arsenal de riffs destructeurs laissent fuiter de temps à autre une mélodie légère et entêtante à la beauté simple, mais le groupe nous défend de nous y installer comme si nous n’avions plus le droit d’en profiter (‘’Vous avez cramé votre joker les gars !’’) . Même sur les dernières secondes de ce titre, alors que nous pensions la punition levée, le quatuor balance une brutale accélération pour un final tout simplement jouissif. Les fans de metal thrashisant explosif, original et ‘non retouché’ vont adorer…
Dans une moindre mesure, ‘Disintegration’ et ‘Mountainous Wave’ répondent encore aux mêmes codes. Le premier alterne à nouveau entre calme et tempête. En commençant de façon sombre avec un riff lent et progressif dans l’esprit, il nous plonge rapidement vers un pont électronique tourbillonnant à l’effet aspirant au bout duquel on trouve… un mur. Nous n’irons pas plus loin, du death pur jus brouillant les pistes une nouvelle fois. La colère passée laissera alors place à un développement rappelant Opeth et même Dream Theater période Awake. D’autres surprises vous attendront encore sur ce titre. Le second, ‘Mountainous Wave’, un instrumental de près de huit minutes débute sur un déluge de notes répétées que n’aurait pas renié Gojira et emporte l’auditeur dans une atmosphère plus spatiale. Mentions spéciales aux guitaristes qui, sans en faire des tonnes, parviennent à composer un long instrumental qui n’ennuie pas et baigne dans une douce mélancolie. Un final qui vante les charmes de cet autre monde et qui invite à la réflexion, voire l’introspection.
En plus d’un excellent choix de pochette démontrant (déjà) la personnalité d’un groupe qui a choisi de s’affranchir des codes du genre tout en renvoyant l’auditeur à un questionnement devenu crucial ces dernières décennies, nous pouvons affirmer que l’art de la composition est largement maîtrisé par les flamands. S’ils persévèrent, il se pourrait bien que le groupe nous livre un album de grande qualité à l’avenir. Une découverte perturbante lors des premières écoutes mais rapidement devenue excitante.