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Interview de Lion Shepherd le 06/02/2017
Neoprog souhaitait donner la parole à Lion Shepherd et son chanteur Kamil Haidar, pierre angulaire du groupe. Nous avons été séduits par le premier album du groupe,Hiraeth, sorti plus d'un an. Lion Shepherd travaille actuellement sur un nouvel album depuis maintenant plusieurs mois.



Laurent : Bonjour Kamil, et merci de répondre à nos questions. Nous avons été impressionnés et vraiment séduits par votre premier album, Hiraeth. Tout d'abord comment es-tu arrivé à la musique, et que représente-t-elle pour toi ?

Kamil : Bonjour! Merci beaucoup, je suis très content que Vous aimiez notre album ! Eh bien c'est une question difficile mais je pense que je suis arrivé à la musique le plus naturellement du monde. A la base j'écoutais de la musique et j'étais aussi un enfant à la mentalité rebelle. Je voulais m'exprimer au travers de plusieurs moyens, et la musique faisait partie de ceux-ci. Alors j'ai commencé à écrire des textes, essayé d'apprendre seul la guitare… Et c'est comme cela que tout a commencé. Pour moi la musique est une façon continuelle de me définir, c'est un moyen d'expression, aussi une thérapie. C'est une réelle aventure, et aussi un passe-temps que beaucoup de personnes rêveraient de pratiquer, et c'est pour moi un bonheur de pouvoir vivre encore et toujours dans un univers musical.

Photo Bartosz Śmiełowski

Kamil

Laurent : peux-tu nous raconter l'histoire humaine et musicale de Lion Shepherd, comment tout a commencé, et comment ce premier album a vu le jour ?

Kamil : Mateusz Owczarek et moi avons joué dans un groupe de rock metal/prog qui s'appelait Maqama. Mateusz a en fait rejoint le groupe en tant que guitariste pour nos tournées, et nous sommes devenus des amis proches. C'est alors que l'inspiration s'est tarie dans le groupe pour différentes raisons. Nous avons eu quelques problèmes internes, et ainsi de suite. Il s'agissait tout simplement d'une fin de cycle. Entretemps nous avons composé et joué notre musique, entremêlant ce qui nous faisait vibrer, notamment les différents styles de musiques que l'on aimait, et on a commencé à mélanger et agréger tout cela. Nous nous sommes éclatés sur cette nouvelle aventure, alors tout naturellement nous avons décidé de créer le nouveau groupe dont nous avions besoin ! La musique que l'on composait était complètement différente de ce que nous avions fait jusque là, et nous avons pensé que c'était l'occasion de commencer et de laisser éclore quelque chose de totalement nouveau. Lion Shepherd était né.

Laurent : le nom de ton groupe a pour origine une des fables d'Esope, Le lion et le Berger. Il y a fort à parier que ce nom n'a pas été choisi par hasard, peux-tu expliquer ce qui se cache derrière ce nom ?

Kamil : Aucune de nos créations n'est faite au hasard (rires), y compris le nom du groupe ! Mais nous voulons garder le mystère sur ce nom, le conte d'Esope était parfait pour la biographie du groupe qui n'existait encore pas, et qui exprime nos pensées, notre état d'esprit. Mais il y aura dans le futur beaucoup plus matière à révélation et découverte.

Laurent : sachant que le mot hiraeth signifie le sentiment de nostalgie et le mal du pays, sachant aussi tous les sujets évoqués dans tes chansons, tels que la guerre, mais aussi l'espoir, es-tu d'accord pour dire que Hiraeth peut être considéré comme un concept album ?
Est-ce que hiraeth se réfère à tes années d'enfance et à ton passé familial ? Dans ce sens, peut-on dire que Hiraeth se rapproche d'éléments autobiographiques ?


Kamil : Oui on peut dire que cet album est quelque part un concept album, bien que ce n'est pas ce que nous voulions faire au départ. Mais au fur et à mesure de l'écriture et de la définition du titre de l'album j'ai décidé de m'orienter vers une notion de concept. Il y a aussi de la matière dans la musique, donc assurément il y a une 'pensée de concept' derrière tout cela. Tout ce que je fais est vraiment très personnel, donc oui on peut décrire mon travail comme autobiographique. Mais d'un autre côté je veux que ce travail soit le plus universel possible, et je veux donner l'occasion aux auditeurs de s'approprier personnellement les titres. C'est la raison pour laquelle je n'aime pas trop parler des paroles. C'est comme gâcher le plaisir d'un bon film en racontant la fin à quelqu'un qui vient juste d'acheter son billet de cinéma (rires).

Photo Bartosz Śmiełowski

Kamil

Laurent : on ressent à l'écoute d'Hiraeth une grande palette de sentiments, du désespoir avec la guerre, l'appât du gain, un monde noir et perdu, à l'espoir avec un monde nouveau, et une lumière qui pointe à l'horizon après une longue survie. Alors bien sûr nous avons tous en tête les événements dramatiques en cours en Syrie. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ces ressentis ? Est-ce que c'est quelque chose qui se rapproche de ta personnalité, ou de la manière dont tu vois les choses ?

Kamil : J'essaye toujours de décrire l'air du temps qui se cache derrière les mots. Je veux laisser une sorte de "marque temporelle" pour les gens qui écouteront ma musique dans 10 ou 20 ans, voire plus. Les paroles sont pour moi un carnet de notes. Une fois que mes enfants seront grands, après avoir écouté ces chansons, je veux qu'ils disent: "Wow, c'était comme cela en 2016". Je veux qu'ils aient les mêmes frissons que j'ai eu en écoutant Hendrix ou Zepps, des artistes qui m'immergent littéralement dans l'époque des sixties et des seventies. Hiraeth est en fait le résumé et la conclusion de l'époque dans laquelle je vis. Quant à la Syrie, le titre 'Smell of War' est une chanson dédiée au pays de naissance de mon père. Ce titre est très personnel, car j'ai grandi là-bas, j'y ai toujours beaucoup de famille, et mes racines sont dans ce pays. Même si ma mère est polonaise et que je vis en grande partie en Europe, je suis né là-bas. Je reçois d'une manière très personnelle les nouvelles de la guerre, ainsi que les bateaux de réfugiés qui coulent en pleine mer… Je déteste tous ces appels xénophobiques contre les immigrants, et la pseudo menace d'une immigration venant de la Syrie lorsque moins de 15% des gens venant en bateau sont syriens. Le pays d'origine n'a bien sûr pas d'importance mais la pression médiatique est forte pour faire l'amalgame entre réfugié et terroriste. Surtout en Pologne où le langage public est très agressif sur ce sujet. Cela me préoccupe.

Laurent : pour en revenir à la musique, Hiraeth est très équilibré. Il y a un bon dosage entre les passages calmes, mélodiques, et les moments métal et plus nerveux, le tout rehaussé par des instruments traditionnels du Moyen-Orient. Est-ce que c'est quelque chose à laquelle vous avez prêté attention, ou pas du tout ?

Kamil : C'est la quintessence de notre son. C'est ce que l'on voulait produire. On essaye de mélanger tous les styles que l'on aime, le tout dans un groupe cohérent. Ce n'est pas facile mais on aimerait jouer et incorporer plus de world music, du rock, quelquefois du métal, même du hip-hop ou du gospel ! (rires). Mais nous ne créerons pas un groupe par style de musique. Nous essayons donc de tout mettre dans un seul contenu musical. Quand Vous écoutez Lion Shepherd je veux que Vous Vous disiez: "La vache, ces mecs produisent une musique vraiment différente, vraiment à part ! C'est complètement fou d'écouter ça !".

Laurent : parlons un peu de ces influences moyen-orientales, des paroles en arabe et des instruments orientaux de cet album. Est-ce que tu as choisi cette influence comme base de composition, et ensuite ajouté la touche métal, ou plutôt le contraire ? Pour faire le parallèle avec ton enfance, est-ce que tu as appris en premier la musique traditionnelle et passé ensuite au rock prog/metal ?

Kamil : J'ai passé mes premières années d'enfance en Syrie et en Lybie. Alors forcément j'ai été baigné dans la musique arabe et l'art islamique, nous n'étions donc pas trop familiarisés avec la musique occidentale. Après avoir déménagé en Europe j'ai commencé à écouter des tonnes de rock, de grunge, et plein d'autres styles, ce qui m'a encouragé à écrire ma propre musique. Mais j'ai toujours voulu utiliser mon héritage culturel, car je savais qu'il me rendrait à la fois unique et différent des autres. Et j'en suis très heureux, comme Tu peux le constater avec cet album. Si Tu écoutes même mes tous premiers enregistrements, Tu verras que Tu retrouves ce parfum moyen-oriental partout.

Pendant les sessions d'écriture de Hiraeth nous avons toujours commencé à composer sur ces instruments traditionnels ainsi que les percussions et la guitare acoustique à 12 cordes. C'est seulement après que l'on a ajouté un peu de distorsion (rires). Le résultat, c'est que l'on peut jouer cette musique de multiples façons sans avoir à faire de gros efforts. Pour prendre un exemple, lors de l'enregistrement récent de Lion Shepherd Orient Ensemble en live, on a pu facilement transposer notre musique en plusieurs versions de type world music. On a joué nos titres uniquement avec les instruments traditionnels (sans la batterie par exemple), et le résultat est impressionnant. Cet enregistrement sera dans les bacs cette année, en même temps que notre second album. Eh oui, on peut dire que Lion Shepherd te surprend en sortant toujours des nouveautés inattendues ! (rires).

Photo Bartosz Śmiełowski

Kamil

Laurent : il y a quelques musiciens invités sur Hiraeth qui ajoutent une touche supplémentaire musicale avec des instruments tels que l'orgue Hammond, le santour, et l'harmonica. Est-ce que tu connaissais ces artistes auparavant ? Comment as-tu choisi ces musiciens, et est-ce qu'ils ont proposé d'eux-mêmes d'ajouter leur patte artistique ?

Kamil : C'est du cinquante-cinquante. Certains, des amis, étaient invités pour être sur l'album avant même sa conception. On a rencontré les autres par hasard au studio. Ils enregistraient ou répétaient leurs projets et cela s'est passé comme ça: "Hé tu entends ce santour persan ? C'est cool, allons demander à ce gars s'il peut jouer quelques notes sur notre titre". On peut dire que ça a été une drôle d'aventure.

Laurent : parlons maintenant un peu de ce nouvel album. Nous sommes vraiment impatients de le découvrir. Peut-on avoir un peu d'information sur cette nouvelle galette ? Comment la gestation du nouveau bébé se passe ? Qu'en est-il de l'enregistrement ? Quelles sont les éventuelles difficultés que vous devez surmonter ? Quelle direction avez-vous choisi pour ce nouvel album ? En d'autres termes est-ce qu'il sera dans la même veine qu'Hiraeth, ou sera-t-il totalement différent ?

Kamil : Pendant que je réponds à tes questions, nous sommes en train de mixer ce second album. La production a été différente, et cela a été un nouveau défi. D'abord les gens nous attendent un peu au tournant pour savoir si nous passerons l'écueil du "syndrome du second album". La pression est donc différente de celle que l'on avait lors de la création de Hiraeth. Mais sincèrement nous n'y prêtons guère attention, nous n'y pensons pas vraiment. Le son sera différent, Tu pourras voir notre progression musicale, mais Tu entendras toujours ce qui fait l'empreinte musicale de Lion Shepherd. Il y a toujours beaucoup de percussions, beaucoup d'instruments différents, et nous en avons ajouté d'autres que nous n'avions pas encore utilisés. Nous avons une équipe formidable de production et d'enregistrement, et je suis impatient de découvrir et de voir les réactions du Public.

Laurent : il semble que 'Le livre des Symboles' soit une source d'inspiration pour tes chansons. Est-ce que l'album complet sera basé sur ce livre, ou juste quelques titres ? Est-ce que tu peux en dire plus sur ce livre, comment il t'inspire, et sur le processus de création qui aboutit à une chanson et à la musique associée ?

Kamil : Non, c'était juste un des livres que j'ai lu pendant la session d'enregistrement. Ce n'était pas une source d'inspiration principale, c'est juste un livre parmi tant d'autres. Beaucoup d'événements sont arrivés dans ma vie personnelle pendant la création de cet album. Mon premier enfant, une fille, est née juste avant que l'on commence à composer. Elle était donc présente pendant toutes ces sessions de compo. Au même moment un ami cher à nos cœurs est décédé. Cela a donc eu une grande influence sur les paroles. Et bien sûr tous les événements actuels autour du globe m'ont influencé: l'instabilité de manière générale, la société de consommation, le délitement des piliers de base de la civilisation tels que l'humanité, la dignité et le souci d'appartenance à la communauté. C'est donc un voyage métaphysique autour de la vie de la mort, un essai sur ce qui importe vraiment dans la vie d'un côté, et de l'autre côté des notes moins joyeuses sur ce qui nous arrive juste maintenant en tant qu'êtres humains.

Photo Bartosz Śmiełowski

Kamil

Laurent : y'a-t-il un musicien ou un groupe dont tu te sens tout particulièrement proche, ou dont tu en tires une influence ? De manière générale quel(s) musique(s) ou groupe(s) écoutes-tu ?

Kamil : Oh je ne vais pas flinguer ton interview en écrivant 50 pages de groupes que j'aime ! (rires). Il y a tellement de choses différentes que nous écoutons, Mateusz et moi. Mateusz se tient au courant de tous les guitaristes prodiges de scène, et du progressif aussi. Il me ramène toujours des noms dont je n'ai jamais entendu parler, et que je n'aurais très certainement jamais écouté (rires). De mon côté j'essaie de suivre beaucoup de styles différents. C'est difficile d'en dire plus, ou de citer certains artistes plus que d'autres, alors j'ai regardé sur mon compte iTunes les titres les plus écoutés. L'an dernier je me suis fait un trip "nostalgie des rebelles des années 90", comme N.W.A (ndlr: Niggaz With Attitude), RATM, en passant par des choses plus classiques comme Allman Brothers, les Stones, ou de la world music comme Tinariwen, Anoushka Shankar ou Yasmin Levy.

Laurent : la Pologne est à l'origine de beaucoup de groupes de prog. Aujourd'hui il y a bien sûr Riverside, mais on peut citer pas mal d'autres groupes présents et passés (Collage, Moonrise, Satellite, Millenium, SBB, Votum, Quidam…). Selon toi, quelles sont les raisons pour lesquelles autant de groupes sont nés dans ce pays ?

Kamil : Je n'en ai aucune idée :D. C'est sûr, on ne peut pas être des dieux en reggae à cause de notre météo (rires), mais il est dur de dire pourquoi le prog est aussi présent en Pologne. C'est une source de satisfaction pour moi. Peut-être à cause de notre âme slave et de cette nostalgie qui coule dans nos veines, et qui fait de nous un pays à part ?

Laurent : la transition avec Riverside est donc toute faite. Peux-tu dire deux mots de votre tournée avec Riverside ? Comment avez-vous pu tourner avec le groupe de Mariusz ? Pour être honnête, avant de vous voir sur scène à Karlsruhe nous ne vous connaissions pas. Quel est le retour de cette tournée, en termes humains, financiers, et en termes de visibilité et d'audience pour vous ?

Kamil : On a passé de bons moments, avec des concerts vraiment excellents. Nous sommes amis avec l'équipe de Riverside depuis maintenant quelques années, et on s'apprécie mutuellement aussi en dehors de la scène. Le fait de tourner ensemble s'est donc fait naturellement. Cette tournée nous a beaucoup aidés, et nous avons récolté tout ce que nous nous attendions à recevoir. Nous avons acquis plus d'expérience, un nouveau public nous a accepté, mais c'était aussi du travail supplémentaire pour tous, car soyons honnêtes nous ne sommes pas un groupe de prog classique, et nous ne savions pas si les gens apprécieraient notre mix mélodique.

Lion Shepherd en tournée à Karlsruhe (Substage) en Novembre 2015
Photo Neoprog

Kamil

Laurent : à propos de tournée ou de concert, aurais-tu une anecdote, un moment particulier, rigolo, ou croustillant à partager avec nous ?

Kamil : Oh il y en a plein! Mais je me souviens de ce moment à Biarritz où nous avons emprunté avec le bus un itinéraire réservé uniquement aux piétons, et qui est une route descendante à sens unique. Pour faire demi-tour nous avons dû décrocher la remorque attachée au bus de la tournée. Imaginez 16 mecs tatoués en short et maillots de bain occupés à déplacer à la main une remorque de trois tonnes, ceci devant des douzaines de couples en train d'effectuer une balade romantique sur fond de coucher de soleil. Bien sûr nous étions encouragés par notre radio cassette qui crachait à fond la musique des Bee Gees. Les gens n'arrêtaient pas de nous demander quelle genre de performance nous effectuions, et où ils pouvaient laisser une petite pièce (rires).

Laurent : alors bien sûr la prochaine question est très originale: est-ce que l'on aura le plaisir de vous voir sur une prochaine tournée ?

Kamil : Bien sûr ! Nous travaillons actuellement sur notre tournée européenne pour 2017, alors très sûrement à tout bientôt !

Laurent : merci beaucoup pour avoir répondu à nos questions Kamil. Nous te laissons le mot de la fin.

Kamil : Merci beaucoup (ndlr: en français dans le texte) de m'avoir donné la parole. J'espère tourner en France très bientôt; en effet mes concerts les plus mémorables étaient à Paris et à Lyon pendant notre dernière tournée. J'adore votre pays et je voyage très souvent en France à titre privé. J'espère que nos routes se croiseront très bientôt !

Rédigé par Laurent le 06/02/2017