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Interview de Steve Hackett le 01/01/2019
Voici la retranscription de trente minutes, trop courtes, passées au téléphone avec Steve Hackett, le lundi 10 décembre 2018, pour parler de son dernier album, At The Edge Of Light, de son amour pour les arts et de sa carrière.




Jean-Christophe : Bonjour Steve, comment allez-vous ?

Steve Hackett : Très bien merci.

Jean-Christophe : Vous allez sortir votre 26e album, At The Edge Of Light, quel est le secret de votre renouvellement en musique?

Steve Hackett : Eh bien, je pense que la musique est un médium très excitant. C’était déjà très important pour moi lorsque j’étais très jeune. J'essayais toujours de jouer de la musique. Quand j'ai eu deux ans, j'ai commencé à jouer de l'harmonica.
Je pense que ce qui me renouvelle aussi, c'est que la musique peut être tellement de choses. Cela peut être évidemment, le pouvoir des notes, mais aussi celui de la poésie, des idées et bien d’autres choses encore. Comme vous l’avez dit, cela me renouvelle, relance mon intérêt et tout particulièrement depuis que j’ai élargi mon intérêt pour inclure de nombreux instruments du monde dans ma musique. Je me suis intéressé à ce que le monde avait produit en termes de grands compositeurs, d’écrivains et de poètes, et c’est toujours une immense découverte pour moi. Tout affecte la musique que je compose, chaque film que je vois, chaque livre que je lis, chaque conversation, chaque information. Tout cela se distille et devient cette autre chose que je ne pouvais tout d’abord pas écrire.

Steve Hackett

Jean-Christophe : Comme vous venez de le dire, dans votre nouvel album, vous accordez une place importante à la musique du monde. Pouvez-vous expliquer la raison pour laquelle vous explorez ces musiques aujourd’hui ?

Steve Hackett : L’album est en quelque sorte une longue chanson de protestation parlant de problèmes sociaux et des politique extrêmes. C’est une chance de montrer à quoi ça ressemble, c’est comme si j’avais réuni une équipe du monde entier qui travaillait de concert et produisait, à mon sens, ce résultat extraordinaire. J'ai beaucoup aimé rassembler le meilleur de ce que le monde a à offrir, avec un joueur de sitar indien, un joueur de tar d’Azerbaïdjan, un batteur islandais et un bassiste suédois, un batteur américain également et tous ces anglais qui ont travaillé avec nous.
Tout particulièrement sur les deux derniers albums, j'ai essayé de démontrer que la musique ne connaît pas de frontières, je cherche quelque chose qui soit une extension de ce que les Beatles ont commencé et ce qu'Ayreon a poursuivi. J'aime toujours le blues, j'aime toujours l'harmonica. Aujourd'hui j'écoutais Grieg (Edvard) dans les embouteillages, le fabuleux concerto pour piano en La mineur (1968). J'adore les compositeurs romantiques du dix-neuvième siècle ainsi que les compositeurs baroques et les Russes bien entendu. C’est une musique précurseur rock progressif tel que nous la connaissons aujourd’hui. Alors, quand je pense à un arrangement pour une mélodie particulière, je pense «Et comment Tschaikowsky aurait développé cela ?» et «Comment un groupe de rock l’aurait fait ?», «Comment un bluesman l’aurait joué ?». Des modèles toujours différents, des approches différentes, une sorte de collège, en quelque sorte comme un énorme et heureux accident né de toutes ces différentes collisions d’idées.

Jean-Christophe : Nous le découvrons lorsque nous écoutons le titre gospel americana ‘Underground Railroad’ et le symphonique ‘Those Golden Wings’, des influences très diverses.

Steve Hackett : Oui, très différentes et bien sûr, lorsque vous prenez le gospel, cette sorte d’approche chorale faite d’improvisation. J'essaie de peindre des scènes d'une certaine manière. Mon père était un artiste et il a peint des scènes. La musique est ma manière de peindre. Je peins sur ‘Underground Railroad’, l’Amérique, la guerre civile, l’injustice, l’esclave qui s’échappe. Tout cela, dans l’esprit d’une chanson de train. J'ai lu le livre de Colson Whitehead “Underground Raillroad”, un livre remarquable que le président Obama m’avait recommandé. J'espère que ce livre deviendra un film un jour, c'est une histoire qu'il faut raconter, c'était déjà un livre, maintenant c'est une chanson.

Steve Hackett

Jean-Christophe : ‘Underground Railroad’ est une morceaux à part dans votre album.

Steve Hackett : Oui, il très différent de tout ce que j’ai fait par le passé avec des influences blues et du bluegrass avec une guitare Dubreuille et de l’harmonica.

Jean-Christophe : Et de fabuleuses chanteuses.

Steve Hackett : Oui, des chanteuses merveilleuses, les deux sœurs McBroom ensemble ainsi qu’Amanda. Trois chanteuses avec qui je chante sur le morceau.
C'est un titre dans la tradition des chansons de train (train song). Auparavant, j’ai composé des chansons de train comme ’The Golden Age of Steam’ ou ‘Overnight Sleeper’. Peut-être qu’un jour, il y aura une compilation de toutes mes chansons de train réunies ensemble. C’est fabuleux que le train inspire autant, il devient le symbole de l’organisation de la planète entière, d’un village planétaire connecté. Et il y a la force du vent pluie et de la vapeur comme la peinture de Turner (“Rain, Steam and Speed” - 1844). J’ai été touché par travail de cet artiste. J'aime beaucoup certaines œuvres de Claude Monet, en particulier les nombreuses peintures qu'il a réalisées du brouillard londonien (“Londres, le Parlement, trouée de soleil dans le brouillard” - 1900), elles sont extraordinaires.
Je me rends compte que je change de sujet ici. En musique, j’essaye de composer à la manière d’un impressionniste, en racontant une histoire sans vouloir être trop cinématique, en laissant beaucoup de place à l’improvisation.

Jean-Christophe : Vous aimez la musique de Debussy ou de Ravel ?

Steve Hackett : Oui, Ravel, Debussy, Eric Satie, Poulenc, Messiaen et bien d’autres.

Jean-Christophe : Les peintures de Turner et Monet sont vraiment liées à cette musique.

Steve Hackett : Oui et bien d’autres encore, comme Piaf, Charles Aznavour, Jacques Brel, de grands conteurs de musique. J'essaie d'être conteur de musique. J'ai eu une conversation avec Peter Gabriel, il y a des années. Il pensait que pour écrire des histoires convaincantes dans les chansons, les mots étaient la chose le plus difficile à trouver. Je pense que c’est parce qu’il travaille souvent avec des symboles. Il y a toujours un risque à utiliser autant le symbolisme. On finit par ne plus raconter l'histoire si on ne fait pas attention. Donc, parfois, l’histoire la meilleure reste la plus simple, plus elle est directe mieux elle fait passer son message.

Steve Hackett

Jean-Christophe : À la fin de l’album, il y a la trilogie intitulée ‘Descent’, ‘Conflict’, ‘Peace’. Voulez-vous nous dire qu’il y a encore de l’espoir, même avec ce qui se passe actuellement sur Terre ?

Steve Hackett : Oui à la fin en effet. La grande chose à propos de la musique rock est que vous pouvez y insuffler une énorme quantité de colère. Personnellement, j’aime mélanger les influences orchestrales et le rock, qu’il s’agisse ou non de véritables orchestres. J’ai donc deux représentations de la guerre, d’abord avec le ballet au début de 'Descent' et ensuite dans 'Conflict' qui a plus d'influences russes, puis 'Peace' qui possède une grande variété d'influences. C’est en partie une chanson d'amour mais également une souffrance à l'idée que la vie continue au-delà de ce que nous expérimentons, pas loin de l'idée que nous sommes des êtres spirituels dans des corps physiques. Ceci dit, l'amour y joue un grand rôle. C’est une chanson d’amour au sens large. Un peu comme le titre ‘Those Golden Wings’, plus philosophique et qui est aussi une chanson d’amour, mais plus complexe, qui exprime cela et bien d’autres choses auxquelles je croie beaucoup.

Jean-Christophe : Vous avez joué avec des groupes peu connus comme le The Franck Carducci Band et The Rome Progject. Pourquoi offrez-vous votre temps et votre talent à ces artistes ?

Steve Hackett : J'aime encourager les gens. Je me suis impliqué dans beaucoup de projets, je joue dans de nombreux albums. Parfois, ce sont professionnels, parfois, des amateurs, mais je pense que tous, s'ils font de la musique, plus ils sont impliqués, mieux ils réussissent. Je remarque que lorsque je complimente quelqu'un, parfois, six mois plus tard, il revient avec quelque chose d’abouti, un peu grâce à mes encouragements. Je ne suis jamais critique lorsque des gens me demandent mon avis. Je pense que les encouragements sont bien plus constructifs que les critiques. Tout le monde peut être critiqué, tout le monde peut être meilleur, y compris moi, c'est évident.
Je suis impliqué dans beaucoup de projets avec des personnes qui ont beaucoup de talent et c’est à chaque fois un grand plaisir de le faire, si j’en ai le temps, bien sûr.
Récemment, j'ai eu beaucoup de mal à finir mes propres projets. Les gens ne comprennent pas toujours. “oh tu sais que tu pourrais travailler avec moi”, et je réponds, “bon tu sais, je fais 160 concerts l’année prochaine dans le monde entier et peut-être plus que cela, donc je n’ai pas autant de temps pour moi-même que je voudrais”.

Jean-Christophe : C’est compréhensible !

Steve Hackett : Absolument compréhensible, c’est un truc de fou !

Jean-Christophe : J’ai parlé avec Franck Carducci, et il m’a expliqué comment il s’était lancé sur son premier album. Il a dit que c’est parce que vous l’aviez encouragé à se jeter à l’eau, et quand vous écoutez maintenant son dernier album, Torn Appart…

Steve Hackett : Il est très talentueux.

Jean-Christophe : Oui mais il a du mal à percer en France.

Steve Hackett : La musique est toujours un combat. Il m’a fallu de nombreuses années avant que je devienne professionnel. J’ai fait de la publicité pendant cinq ans dans les dernières pages de Melody Maker en Angleterre avant de recevoir un appel de Peter Gabriel. Ce qui compte, c’est de ne pas abandonner.

Jean-Christophe : Vous parliez de Peter Gabriel. C’est vous qui faites vivre aujourd’hui la musique de Genesis. Vous la jouez en live avec des artistes célèbres et honnêtement, à mon humble avis, Genesis Revisited II sonne bien mieux que les pistes originales. Est-ce une sorte de nostalgie des années soixante-dix ou parce que le public demande cette musique ou encore parce que vous voulez toujours jouer la musique de Genesis ?

Steve Hackett : Eh bien, il y a beaucoup de choses que j’ai enregistrées avec Genesis mais je pense que certaines auraient pu mieux sonner, c’est l’une des motivations. De plus, j’aime enrichir les choses que j’ai faites par le passé. J’ai la possibilité maintenant d’ajouter un orchestre, une vraie section à cordes ou un certain nombre de chanteurs. J’ai non seulement réinterprété la musique de Genesis, mais aussi mes titres solo. Je viens de faire une tournée avec un orchestre au Royaume-Uni, nous avons fait huit dates, et cela a très bien fonctionné au box-office. C’est un gros risque d’emmener beaucoup de gens sur la route, comme un orchestre philharmonique. Nous ferons un DVD du concert plus tard, au cours de l’année prochaine.
Lorsque que je fais une tournée, je mèle du Genesis à ma carrière solo et l'année prochaine je jouerais tout l’album Selling England By The Pound, la plupart des morceaux de Spectral Mornings j'espère ainsi que des pièces de At The Edge Of Light. Un mélange toutes ces choses qui vont créer un spectacle vraiment fabuleux. Nous ajoutons des dates supplémentaires parce que les gens sont toujours intéressés par le Genesis de 1973. Après que John Lennon ait dit que nous étions un des groupes de l’année 1973, les gens ont compris que l'album Selling England By The Pound avait quelque chose de magique, cette fabuleuse alchimie entre tous les individus qui travaillaient sur l’album. Je suis donc toujours très fier de toutes les idées qui y figurent. Quelque chose de idiosyncratique, de prophétique et très divertissant à la fois, je pense.

Steve Hackett

Jean-Christophe : Vous avez parlé de votre tournée en Europe l’année prochaine, vous allez jouer partout, mais seulement une nuit à Paris, ça ne suffit pas, vous ne pensez pas ?

Steve Hackett : Je ne pense pas que beaucoup de promoteurs en France soient intéressés par ce que je fais. Je serais très heureux si mon travail rencontrait plus d'intérêt. C'est merveilleux de jouer à Paris mais faire une tournée française serait fabuleux. Peut-être qu’après la sortie de mon prochain album les promoteurs pourraient prendre conscience du marché potentiel, non seulement pour la musique de Genesis, mais aussi pour tous les autres choses sur lesquelles j'ai travaillé.

Jean-Christophe : Une dernière question Steve, Qu'est-ce qui vous rend le plus fier aujourd'hui, quand vous regardez tout ce que vous avez fait au cours de votre carrière ?

Steve Hackett : Tout est important. Je ne regarde pas un événement et me dit que c’est celui là. Ma mère pourrait répondre à ma place peut-être. Elle s'est souvenue du spectacle que nous avions joué en 1973 au Rainbow Theatre (20/10/1973) et elle a dit que Genesis était soudainement devenu un groupe ce soir là. Je pense qu'elle voulait dire que c'était devenu soudainement un concert théâtral. Tout le spectacle racontait une histoire. D'une certaine manière, ce fut un tournant pour le groupe. Je me souviens que quelqu'un dans l'auditoire a crié «Genesis est le meilleur groupe au monde !». C'est Richard McPhail qui mixait le son pour nous à cette époque qui a dit “qu’à ce moment-là, le groupe existait”. À ce moment-là, quelque chose de spécial s’est produit avec l'album Selling England By The Pound.

Jean-Christophe : Merci beaucoup pour votre temps et vos réponses Steve, ce fut un plaisir de parler avec vous.

Steve Hackett : Merci, “moi aussi, au revoir”.

Steve Hackett

Rédigé par Jean-Christophe le 01/01/2019