Jean-Christophe : Bonjour LEF, enchanté de te rencontrer à Strasbourg, c’est la première fois que tu viens ici ?
LEF : Oui, c’est la première fois que O.R.k. vient à Strasbourg et je n’ai jamais joué ici avec aucun de mes autres projets, donc c’est la toute première fois que je viens ici.
Jean-Christophe : Comment se passe la tournée ?
LEF : Ca se passe bien. Nous avons fait la toute première partie comme tête d’affiche, quelques concerts en Italie puis nous avons rejoint The Pineapple Thief à Rome, Milan, Pratteln, Francfort et Stuttgart.
C’est compliqué de trouver l’accord musical parfait quand tu tournes avec d’autres groupes, mais là cela fonctionne à la perfection. Nous parlons les uns aux autres, nous et The Pineapple Thief, c’est vraiment un bon combo.
Jean-Christophe : Avec des membres venant de tous les coins du monde et de groupes si différents comme King Crimson, Porcupine Tree, Obake ou Marta sui Tubi, est-ce que O.R.k. doit être décrit comme un super groupe ?
LEF : Il est difficile de comprendre ce qu’un super groupe pourrait signifier aujourd’hui. Je nous décrirais juste comme un groupe. Nous savons bien que King Crimson et Porcupine Tree retiennent l’attention, mais c’est déjà notre quatrième tournée européenne, nous avons également joué en Amérique du Sud, c’est notre troisième album en quatre ans, alors quand tu tournes avec le groupe et passe autant de temps ensemble dans le bus, tu commence à développer un autre niveau d’amitié. Si tu nous appelais un super groupe je nous verrais comme un projet annexe. Mais ce n’est rien de ça, c’est un véritable groupe, et nous avons des projets pour notre futur, nous avons toujours en tête notre prochain album même si nous venons juste de sortir le troisième avec Kscope. Nous faisons déjà des projets parce que nous nous sentons un groupe et que nous adorons passer du temps ensemble, c’est ça la chose la plus importante à mon avis.
Jean-Christophe : Vous allez jouer Ramagehead ce soir, enfin j’espère, votre troisième album sorti il y a quelques jours. Vous avez signé avec un plus grand label cette fois, est-ce que cela signifie que O.R.k. passe à la vitesse supérieure ?
LEF : Eh bien, je l’espère (rires). Nous adorons travailler avec Kscope. Il sont vraiment organisés, c’est un très bon nom dans le rock progressif, mais pas seulement dans le prog, parce que nous ne jouons pas vraiment une musique prog (rires). J’ai adoré collaborer avec Kscope, ce sont vraiment des bosseurs et des passionnés, c’est très important quand tu bosses dans le monde de la musique. Pour nous c’est assurément un pas en avant. Il était indispensable d’aller plus loin que ce que nous faisions auparavant. Ce que nous avons fait était très bien, mais aujourd’hui nous devons accélérer et aller de l’avant et nous le faisons. Tout est mieux structuré et organisé, nous suivons un plan précis pour l’avenir. Et Kscope fait partie du plan.
Jean-Christophe : Pour les concerts également ?
LEF : Oui, nous avons déjà programmé une autre tournée en novembre et décembre. Nous prévoyons de jouer aux Etats-Unis. Une étape après l’autre, c’est important pour un groupe d’avancer de concert et de suivre ensemble le même chemin. Si c’était un “side project”, nous pourrions simplement tourner une fois et sortir un album, juste se faire plaisir et puis voilà.
Nous faisons des plans, c’est toute la différence.
Jean-Christophe : Sur ‘Black Blooms’, Serj Tankian de System of a Down chante avec toi. Comment est née cette collaboration ?
LEF : J’ai fait cet album appelé Hypersomniac l’an passé avec Bill laswell et plein de personnes de Norvège comme Kenneth Kapstad, le batteur fondateur de Mortorpsycho, Elvind Aaset et Nills Petter Molvaer. Ce fut une super équipe de gars sympas ! J’ai fait ce disque et Bill a voulu le passer à quelques-uns de ses amis, alors il a demandé : “Est-ce que je peux l’envoyer à Serj ?” parce qu’il pensait “Vous les gars, vous avez beaucoup de choses en commun en musique”. J’ai répondu “Oui évidemment!”. Cela va sans dire, j’en ai été très fier. Bill a passé le CD à Serj et deux mois plus tard il a reçu un coup de fil de Serj. Il était vraiment enthousiaste à propos de la musique, de ma voix et de tout le reste, alors il a été sur mon site web et a tenté d’entrer en contact avec moi, alors Bill m’a demandé :”Tu serais d’accord pour que Serj écrive un titre pour toi ?”. J’ai été un grand fan de System Of a Down dans les années quatre-vingt-dix, donc c’était énorme pour moi. Donc merci Bill, nous sommes entrés en contact et nous avons commencé à envisager de faire quelques titres ensemble, et finalement, alors que nous enregistrions notre nouvel album Ramagehead - toute la structure était déjà en place - je lui ai envoyé l’album en lui demandant simplement d’écouter, et si il avait quelque chose qu’il voulait faire avec moi, ce serait chouette. Il a été vraiment humble, même s’il a vendu des millions d’albums, il était comme un des nôtres, comme Pat et Colin quand nous avons commencé à travailler ensemble. J’ai été étonné de la simplicité de ces gars là, parce que ce sont des bosseurs, fiers de ce qu’ils font, mais ils ne se prennent pas pour des dieux. En Italie et peut-être également en France, si tu fais un truc bon sur Youtube ou que tu as beaucoup de J’aime sur Facebook, tu commences à te prendre pour un dieu juste parce que tu as plein de followers, mais ce sont des conneries tu sais, ce n’est pas ça la musique, c’est juste vouloir devenir célèbre et ce n’est pas ce qu’ils sont, ce n’est pas ce que nous sommes, ce n’est pas ce que Serj est.
Jean-Christophe : Si je ne me trompe pas, Ramagehead parle de notre société et des nouveaux médias, comment vois-tu cet étrange monde dans lequel nous vivons aujourd’hui ?
LEF : Oui, comme tu le dis, nous vivons dans un drôle de monde, une époque particulièrement compliquée, mais nous ne pouvons pas détester internet et la technologie car notre groupe fonctionne grâce à internet. Nous enregistrons nos albums à distance, nous trouvons le temps de nous rencontrer, tout particulièrement pour Ramagehead, moi et Colin, nous avons rencontré Pat alors qu’il traversait l’Italie avec The Stick Men, mais habituellement nous avons besoin d’internet pour collaborer à distance, et du coup nous ne pouvons pas juste voir internet comme une terrible créature démoniaque. Cela fait partie de notre société et nous pouvons faire avec, nous faisons mieux grâce à internet, mais j'estime qu'internet et la technologie sont en train d’envahir nos corps dangereusement, nos perceptions, notre façon de penser, ce que nous ressentons a complètement changé à cause d'Internet, à cause des médias sociaux. C’est effrayant, terrifiant.
Nous ne parlons pas de sujets particuliers dans nos paroles, nous préférons laisser de l’espace pour l’interprétation, laisser les gens réfléchir, nous ne racontons pas une histoire, nous essayons de créer, au travers de la musique et des mots, une vision, un scénario, mais l’interprétation dépend de qui écoute. Assurément, nous avons été influencés par les médias sociaux, comme par exemple cette animation que j’ai conçu pour ‘Kneel to nothing’. Je voulais mettre en évidence les problèmes liés au fait d’être toujours connecté, et ce que cela pouvait apporter à notre existence, cela faisait partie du concept. Mais ce n’était pas juste ça, si tu vois ce que je veux dire. Les médias sociaux et le problème d’être connecté avec la technologie sont une partie du concept mais il y a bien plus.
Jean-Christophe : Des titres courts, des albums courts...
LEF : Oui (rires).
Jean-Christophe : Vous êtes très loin du modèle progressif. Comment pourrais-tu définir votre musique ?
LEF : Comment pourrais-TU définir notre musique toi ?
Jean-Christophe : Moi ? Impossible !
LEF : (rires) Merci beaucoup, j’aime ça, impossible, c’est un bon genre musical (rires).
Impossible est la parfaite définition, je l’aime, je l’utiliserai, tu devrais déposer le nom (rires). Je n’aime pas que notre musique soit vue comme du prog ou du rock alternatif. C’est sans doute un truc que les journalistes font pour que les gens qui les lisent sachent ce qu’ils vont lire. Mais ce n’est pas notre problème. Ce n’est pas comme si, lorsque que nous composons une nouvelle musique nous pensions “Ok ça devrait sonner comme ceci, ou comme cela” ou “Ça devrait être de tel genre”. Nous essayons d’exprimer nos sentiments et pensées de la manière la plus courte, la plus rapide et la plus forte possible. Nous laissons beaucoup de place à l’improvisation et nous essayons de ne pas sur-produire nos albums parce que nous voulons garder l’émotion intacte dans la musique. Cela doit arriver tel quel, tel que nous le ressentons, afin que cela parvienne à notre public comme nous le percevons. Nous ne voulons pas sonner progressif ou alternatif, nous voulons sonner honnêtes.
Jean-Christophe : Est-ce que ton travail dans le cinéma a une influence sur la musique de O.R.k. et comment ?
LEF : Eh bien, travailler dans le cinéma t’oblige probablement à avoir une visions plus large, donc composer de la musique fait partie d'une vision plus large. Tu gardes également cette vision sur tes autres projets comme O.R.k.. Tu essayes de transformer cette vision avec ton groupe et la musique que tu fais avec le groupe. Tu ne penses pas en terme de notes, accords et mélodies, c’est plus que ça. Lorsque nous composons, nous essayons de transférer nos pensées et sentiments aux instruments.
Le cinéma. Oui, cela aide énormément. J’aime écrire de la musique pour des films parce que cela me pousse à suivre certaines directions. Je ne peux pas juste suivre mon instinct. Tu ne peux pas faire ça parce qu’il y a un réalisateur, tu dois suivre ce qu’il veut faire. Cela aide aussi à suivre un certain chemin et à rester concentré sur ce que tu fais. Je pense que cela m'aide à écrire de la musique de manière plus ciblée.
Jean-Christophe : Une dernière question, une question idiote.
LEF : J’aime les questions idiotes (rires), ce sont mes préférées (rires).
Jean-Christophe : Qu’est-ce signifie le nom du groupe, O.R.k. ?
LEF : Je ne peux vraiment pas donner d'explication (rires). Le nom c’est O point R point K point. En fait c’est une longue histoire. Carmelo, notre guitariste et moi-même nous discutions du groupe et c’était le tout début de notre aventure. Nous avons commencé à boire et à rêver, et à un certain moment, alors que étions vraiment saouls, Carmelo, tout d’un coup, dit très sérieusement : “J’ai vu un documentaire hier. Il parlait des baleines et des orques. Ils attendent juste les poissons et ils les attrapent. C’est une manière très pragmatique de vivre, et j’aime ça”. Je lui ai répondu : “J’aime ça aussi, nous devrions utiliser ça comme concept pour notre groupe à venir”. Alors nous avons commencé à nous demander “Et que penses-tu des épaulards ?”, “Non, c'est trop métal”, “Et les orques ?”. Mais nous étions vraiment saouls, alors nous avons simplement écrit “O.R.k.” et je l'ai passé aux autres gars et ils ont adoré ça alors… (rires)
Jean-Christophe : Merci beaucoup LEF.
LEF : Merci à vous !
Rédigé par Jean-Christophe le 31/03/2019