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Interview de Stan W. Decker le 28/08/2015
Pour la sortie du dernier album de Némo, Coma, nous avons le plaisir d'interviewer celui qui a illustré l'album, Stan W. Decker.



Jean-Christophe : Bonjour Stan ! Merci de te prêter au jeu des questions pour Neoprog.

Stan : Bonjour à toi et merci de m'offrir un temps de parole dans les pages de Neoprog.

Jean-Christophe : Tu es graphiste freelance et si nous venons vers toi, c’est que tu as réalisé les pochettes de nombreux albums, de rock progressif comme de métal. Question de stagiaire de troisième, comment devient-on illustrateur ?

Stan : Je pense que tout remonte à la petite enfance, on ressent une affinité avec ses crayons et je suppose que tout naît de notre curiosité et du sens de l'observation plutôt que d'un "don". J'ai donc commencé très jeune à dessiner pour les autres, dès la maternelle, puis à l'école primaire. Des héros de séries japonaises de mon enfance, je suis passé vers 10 ans à… Eddie the Head, mascotte d'Iron Maiden. Le visuel de Killers que vêtait fièrement un voisin plus âgé m'a marqué et choqué. Dès lors, j'ai commencé à gouacher ce genre de personnage. Je n'oublie pas non plus la découverte de Bilbo the Hobbit et ma première partie de Donjons et Dragons qui - à 10 ans - conditionnent une partie de l'imaginaire. De fil en aiguille (ou de pinceaux en godets) après des études littéraires, je suis entré aux Beaux-Arts avec un dossier comprenant une bonne partie de gouaches/acryliques reproduisant des covers d'Iron Maiden mais j'ai déchanté et me suis orienté vers la communication (véritable vocation depuis mes 15 ans). Louvoyant entre BTS et formation P.A.O., j'ai rapidement trouvé un job dans une grosse agence de communication. Au bout de 13 ans de D.A., je me suis établi à mon compte, tentant le diable en me lançant dans une activité gratifiante pour mon équilibre: illustrer et designer des couvertures et packagings d'albums.

Stan

Jean-Christophe : L’infographie c’est une chose, plaquettes de magazines, logos, publicités, planches d’anatomie, mais l’artwork d’un album, c’est souvent une belle part du plaisir d’un disque, de quelle manière es-tu tombé dans la musique ?

Stan : Je suis né avec le rock, mon père étant un très bon musicien. Entre notre piano familial, son Hammond B3, son Vox, son Wurly et plus tard son CP70, j'ai eu à reprendre la lourde tâche de l'héritage familial. J'ai donc fait du piano pendant 7 ans tout en suivant mon père, dès mes 3 ans. Beatles et du rock '60 passaient souvent à la maison. A 10 ans, le choc ! Une première écoute dans un walkman et le bon goût d'avoir inséré Love over Gold de Dire Straits (dont je resterai fan à vie). 3 ans passent et une petite copine me fait écouter Marillion, à peine plus tard, mon cousin me balance 7th Son d'Iron Maiden (dont je ne connaissais donc que le graphisme) et je commence mon premier groupe en tant que clavier/chanteur lead… et c'est magique ! Depuis mes 15 ans, je n'ai jamais arrêté de jouer : piano, basse, guitare, chant.

Jean-Christophe : De nos jours, dans les illustrateurs prog, il y a toi, Ed Unistki, Sandor Kwiatkowski et bien d’autres que je ne connais sans doute pas, mais dans les grandes anciens qui ont travaillé pour Yes, Genesis, Pink Floyd, Beatles et autres, qui est ton maître à penser, s’il y en a un ?

Stan : Roger Dean et Wilkinson pour le prog sans hésiter. Paul Romano (Mastodon par exemple) et Dave Mc Kean pour le Metal et forcément Derek Riggs (Iron Maiden)...

Jean-Christophe : Tu as travaillé pour Némo, JPL, Vanden Plas, Magic Kingdom, Aelendir,… Comment se nouent les contacts ? Via les labels, le bouche-à-oreille ?

Stan : C'est en effet un peu tout ceci. On commence toujours petitement avec des groupes locaux puis un jour, on a l'opportunité d'être apprécié par quelqu'un d' "influent" (groupe, label, etc…) qui vous donne la possibilité de voir votre travail mis en lumière. Il n'y a pas vraiment de secret. Il faut être patient, humble, savoir se remettre également en question.

Stan

Jean-Christophe : Comment se passe une commande, écoutes-tu la maquette de l’album, guides-tu l’artiste, quelle est ta marge de liberté et combien d’essais avant d’être d’accord à la fin ?

Stan : Il n'y a pas vraiment de méthode unique. Je fais souvent ceci au feeling mais je cherche tout de même à écouter et comprendre la musique pratiquée par le groupe sur l'album que je dois designer. Il y a pour moi un lien obligatoire entre la musique jouée et le style graphique de la cover. J'ai d'ailleurs plusieurs styles graphiques qui sont nés naturellement de collaborations avec des artistes. Je demande généralement un brief rapide et une "ambiance" puis je me lance en estimant la marge de manœuvre selon mon ressenti de l'artiste et la teneur de nos échanges verbaux ou manuscrits. Il arrive que je présente des croquis mais j'arrive le plus souvent avec un projet quasiment fini. Ça passe ou ça casse. Il arrive que je recommence mais c'est franchement rare :).

Stan

Jean-Christophe : Ton métier t’amène à côtoyer souvent des musiciens, qu’est-ce que ça fait de travailler et de négocier parfois avec une des icônes du rock en chair et en os ?

Stan : Je me contenterai d'une anecdote: comme tout le monde, il m'arrive de faire mes courses en grande surface. Il est 20h, je suis claqué, ma femme et moi poussons le caddie, le regard morne… Mon téléphone sonne - un appel de l'étranger - je décroche et je me mets à discuter boulot et artwork avec Jean Beauvoir qui est à Miami… Je regarde autour de moi tous les gens qui comme moi emplissent leur chariot et j'ai l'impression de me trouver en stratosphère, dans une bulle, détaché, vivant un moment privilégié (la même fan attitude qui te fait chialer quand tu obtiens une dédicace après le concert de ton groupe préféré). Voilà, j'ai la fan attitude facile et l'impression de vivre parfois dans un rêve de gosse.

Jean-Christophe : Comment bosses-tu, où trouves-tu les idées, comme par exemple pour le dernier JPL qui au passage est franchement magnifique ? Internet, musées, bouquins ?

Stan : Il faut se constituer une bonne culture de l'image, être réactif et cerner les idées émises par l'artiste. Internet est le meilleur vecteur pour se rafraîchir la mémoire, les bouquins, ma seconde option… Je dirais que cogiter aux toilettes ou en faisant la vaisselle à la main est également un excellent moyen d'organiser ses idées et d'aborder la création d'un artwork. Concernant JPL, le projet initial était très différent. La thématique était la même : le lien entre l'époque médiévale et l'actualité mais l'approche de J-P beaucoup plus "épique". De mon côté, je ne sentais pas trop cette approche et je pensais que moderniser une oeuvre de J. Bosch, en faire une oeuvre de notre temps, pourrait illustrer le concept voulu. La question que je me suis donc posée était : comment Bosch peindrait-il le monde moderne?

Jean-Christophe : Henri, notre ancien chroniqueur, a insisté pour avoir tes tarifs, il va sortir un CD cette année et cherche un illustrateur. C’est cher de faire appel à un graphiste ? Tu touches des droits sur l’album, comment ça marche ? Tu en vis mais c’est beaucoup d’investissement je crois savoir, l’aventure en vaut la peine ?

Stan : Je suis quelqu'un de raisonnable et étant musicien, je sais ce qu'est l'investissement nécessaire à l'enregistrement d'un album. Mes tarifs sont donc abordables (je cède tous les droits, n'ayant pas envie de m'embarquer dans des paperasses chronophages), j'ai pour compensation d'être très rapide à l'exécution d'un artwork ce qui fait que le ratio temps/argent est à peu près équilibré et que j'arrive à en vivre… Toute médaille ayant son revers, je travaille entre 12 et 14h par jour, 7 jours sur 7 à quelques rares exceptions mais je ne me plaindrai jamais, ayant déjà la chance de faire un métier qui me plaît.

Jean-Christophe : Si quelqu’un a besoin de tes services, il procède de quelle manière pour te contacter, un mail, un site, une adresse pour nos lecteurs ?

Stan : On peut me contacter via mon E-Mail donné sur mon site : http://www.stanwdartworks.com/

Jean-Christophe : Quand on réalise des pochettes d’albums, on aime forcément un peu la musique j’imagine, tu es toi-même musiciens d’ailleurs, alors dis-nous, qu’est-ce que tu écoutes ?

Stan : Même si mon coeur est métallique, mes goûts sont extrêmement variés. En ce moment, j'écoute très souvent Haken (The Mountain), les premiers Uriah Heep , Roky Erickson, T2, Blues Pills mais également Pyogenesis, Coroner, Vola, Sieges Even… (en gros, c'est ma consommation sur 2 jours). Je possède pas loin de 1500 CDs et certainement 400 vinyles et ça part dans tous les sens du prog' au grind, de la pop au goth.
Si je devais parler en tant que fan, je te donnerais certainement Dream Theater dans mon top 3 mais je suis tellement déçu de leur orientation depuis Train of Thoughts que mon amour pour ce groupe est un peu comme une relation conflictuelle.

Stan

Jean-Christophe : Question de vieux nostalgique, ne regrettes-tu pas l’époque du vinyle où les graphistes disposaient d’un grand espace pour s’exprimer, d’ailleurs fais-tu également des vinyles, genre disques picture ?

Stan : Bingo : déjà, on pourrait débattre du son, haha !, mais je ne le ferai pas ! Ma réponse à ta question est donc un grand OUI. C'est un plaisir de designer des covers (et des packagings) qui prennent tout leur sens sur un grand format. Le fait de devoir penser "en petit" pour un pressage CD diminue déjà l'impact. Avec le vinyle, on prend conscience des dimensions et de l'espace. Pour étayer ceci, je pense que la plus belle illustration de Yes ne donne rien en CD. Dernièrement, j'ai réalisé coup sur coup plusieurs formats gatefold pour BLACKMORE'S NIGHT, PYOGENESIS et NEMO et je peux dire que je me suis fait vraiment plaisir. J'espère d'ailleurs que les acheteurs de ces versions sentiront bien ceci à travers mon travail : le plaisir et l'amour du travail bien fait.

Jean-Christophe : Je te le dirais, j’ai commandé le vinyle de Némo. Ta plus belle expérience à ce jour, c’est quel album ?

Stan : C'est la question piège car on apprécie souvent des choses très différentes selon les artistes. J'en donne quelques exemples en vrac : VANDEN PLAS et NEMO pour les échanges très naturels et humains, STRYPER pour leur bonté d'âme réelle.

Jean-Christophe : Merci pour tes lumières Stan et pour tes illustrations magnifiques qui nous donnent envie d’écouter la musique.

Stan-W D Artworks

Rédigé par Jean-Christophe le 28/08/2015