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Live report du 01/04/2016 - Artrock IV - jour 1
Vendredi 1er Avril, 16:20

Après avoir avalé plusieurs centaines de kilomètres de bitume sans encombres, me voici donc devant la Neuberinhaus, salle de spectacles de Reichenbach. Ce n'est pas un poisson d'avril, je suis dans la ville du mythique pub rock Bergkeller, pour assister à cet Artrock Festival, quatrième du nom. Les trois premières éditions s'étaient déroulées les années 2006 à 2008, et ce avec des artistes tels que Riverside, Fish, Sylvan, Spock's Beard, Queensrÿche, pour n'en nommer qu'une petite partie. Uwe Treitinger, l'organisateur en chef de l'événement, au four et au moulin sur la gestion de nombreux projets ces dernières années, a enfin pu trouver en 2015 les sept mois nécessaires à l'organisation d'une quatrième édition. Sept mois de temps plein pour le boss, assisté de trois ou quatre personnes en continu, et épaulé par une équipe complète d'une vingtaine de personnes pendant les deux jours pleins du festival.

J'ai eu le temps de déposer mes affaires dans une chambre louée chez l'habitant pour l'occasion. L'établissement n'est pas encore ouvert au public. Toutes vitres ouvertes, une voiture attend patiemment, un titre de IQ résonnant dans les travées du parking couvert attenant. Je suis largement en avance, j'en profite pour me dégourdir les jambes dans Reichenbach. Le nombre de bâtiments non habités, à l'abandon, condamnés, sans propriétaire, me frappe tout particulièrement. L'architecture des bâtiments confirme que nous ne sommes pas très loin des pays de l'Est, Prague et frontière polonaise en première ligne. De retour de ma petite boucle pédestre, les portes se sont entretemps ouvertes. Petit bracelet bleu pour les deux jours, je suis paré. La Neuberinhaus est un bâtiment très bien conçu : après un hall d'entrée que les groupes et labels ont investi pour leurs stands, on arrive dans un patio central, là aussi occupé par d'autres stands, à partir duquel on a accès à toutes les entrées à la salle, ainsi qu'aux buvettes. Nous pénétrons dans la salle vers 17:30. Là encore la salle de spectacle est très bien aménagée : devant la scène, la fosse, surmontée ensuite de trois petits gradins en terrasse séparés par des balustrades transversales auxquelles on peut s'appuyer. Un large balcon en pente, muni de rangées de fauteuils, accessible va le premier étage, surplombe ces gradins. Où que l'on soit, debout en bas ou assis en haut, la visibilité est top. De bon augure. Je me mets debout juste derrière la fosse. Les réglages sont encore en train de se faire pour le premier groupe qui sera Effloresce. Nicki la chanteuse, habillée tout en noir, short et bien à l'aise pieds nus sur un tapis, installe un ventilateur qui fera voler ses long cheveux pendant la prestation du groupe.

Effloresce Artrock IV
Photo Iris Winkler


Effloresce (17:47 - 18:32)

Effloresce, groupe originaire de Nuremberg, joue donc à domicile pour l'inauguration de ce festival. N'y allons pas par quatre chemins, ces deux jours vont encore être l'occasion pour moi de découvrir de nouveaux groupes. Effloresce, classé en tant que groupe métal progressif, est dans ce cas, même si JC vous en a déjà parlé lors de la sortie de leur album Coma Ghosts. En avance sur le timing, le groupe commence sans fioritures son premier titre. Deux guitares viriles, une basse et une batterie, on ne donne pas dans la bleuette. Le public ne se bouscule pas encore au portillon, la fosse est plutôt très clairsemée - déserte il faut bien dire -, et c'est donc plutôt un vrai bonheur pour les photographes qui peuvent s'en donner à cœur joie. Je repense à ce moment aux mots de l'organisation, pour qui le risque majeur lors d'organisations de tels événements est de ne pas avoir assez de public, en clair de boire la tasse.
Mes oreilles ne se réjouissent pas trop au premier titre d'Eflloresce : poutrage et secouage de tête chevelue sont de la partie. Aïe. Pas trop ma came. Je trouve de plus limite le chant de Nicki, qui donne quelques fausses notes - sûrement la faute à un retour perfectible - et manque clairement de coffre dans les notes les plus hautes. Les présentations faites, le titre suivant est enchaîné. Quelle n'est pas ma surprise lorsque deux bons coups de growl sont lâchés par la chanteuse ! Nous aurons droit ensuite à quelques belles notes de flûte, un titre du nouvel album (Butterfly ?), trois nouveaux coups de growl sans prévenir pour débuter le quatrième titre – j'ai vraiment peur qu'elle se pète les cordes vocales -, sans compter les tournages de tête synchronisés avec Dave et les 360 degrés de cheveux au vent. Bon je ne suis vraiment pas emballé par ces trois quarts d'heure de gros son. Et pour ainsi dire je m'inquiète des réglages qui seront faits aux manettes. Merci aux bouchons. Faute grave, j'aurais dû m'échauffer avant de rentrer dans la salle.


District 97 (18:55 - 19:45)

Le quintette américain de District 97, originaire de Chicago, se prépare maintenant sur scène. Le rideau noir, qui se lève entre chaque concert pour permettre au matériel d'être changé, laisse entrevoir les coulisses et l'espace immense derrière la scène où est entreposé le matériel. Dans la série des Metal Women habillées tout de noir, voici maintenant Leslie Hunt. Pour ce groupe, nous avons les instruments habituels : basse, guitare, batterie, ainsi que deux claviers. Tim le bassiste fait ses réglages tranquillement avec une bonne bière à ses pieds. Le concert débuté, je trouve les réglages déjà un peu mieux affinés pour la voix de la chanteuse, qui ressort maintenant mieux parmi tous les instruments. Indubitablement Leslie a cette présence qui fait tout de suite le petit plus et qui accroche : une gestuelle dynamique et originale, une occupation équilibrée de l'espace, des pieds et des mains qui ne tiennent pas en place, des mimiques amusantes, surprenantes, bref la chanteuse scintille et surtout on sent qu'elle s'éclate. Spontanéité, fraîcheur, dynamisme sont les mots qui viennent à l'esprit lorsqu'on assiste à la prestation de la chanteuse.

District 97 Artrock IV
Photos Iris Winkler

Cela n'empêche nullement le groupe au complet de sortir là aussi pas mal de décibels. Au bout du second titre le groupe demande plus de voix et de guitare dans les réglages. Le troisième titre, 'The Perfect Young Man', retourne dans des eaux un peu plus calmes. Tombant son drapé vaporeux à la fin de ce morceau, Leslie dit quelques mots de John Wetton, de sa présence passée à Reichenbach, et de leur collaboration (NDLR: le groupe a effectué une grosse tournée avec l'artiste légendaire en 2013). On comprend à ces mots l'admiration et le respect réciproques que le groupe et le bassiste ont mutuellement. Le titre suivant est l'occasion d'entendre la voix de Jim, je trouve ce titre sympa et commence à apprécier de plus en plus la musique jouée par ces américains, d'autant plus que Leslie habite bien les paroles par sa gestuelle et ses cabrioles. Jim le guitariste prend à son tour le micro pour annoncer le prochain titre qui ressemble à "un vrai cirque"', et dédie ce morceau à Donald Trump, le "futur non président des Etats-Unis". No comment. Alors oui effectivement ce titre m'a semblé assez foutraque, mais m'a aussi intuitivement fait penser à King Crimson de par sa complexité. Andrew, statique jusqu'ici aux claviers, commence à dérouiller ses rotules. Leslie remet son vêtement léger sur ses épaules, Tim le bassiste secoue sa basse d'une seule main afin d'en sortir des tremolos de fin de titre, je n'avais encore jamais vu cette technique. Leslie invite la foule à danser sur le prochain titre, 'Takeover'. Un spectateur désinhibé se lâche dans la fosse qui s'est entretemps un peu rempli, et effectue des aller retour psychédéliques le long de la scène. Gros fou rire. Dans le tumulte musical, emportée par la furie du moment, Leslie enlèvera énergiquement son drapé de ses épaules, et le jettera à terre en une sorte de rage libératrice.

District 97 est d'ores et déjà la première bonne surprise de ce festival. Des artistes tels que Roine Stolt ou Bill Bruford sont déjà très élogieux à leur égard, c'est dire. Pour moi c'était une découverte de leur musique, mais d'après ce que j'ai en ai intuitivement perçu, nous avons là une musique complexe, laissant une première fausse impression de gros foutoir rebondissant et imprévisible, qui ne se laisse sûrement apprivoiser qu'au bout de multiples écoutes. Le plaisir ne risque d'en être que plus grand.


Karfagen (20:12 - 21:10)

Karfagen a été pour moi une très belle surprise lorsque j'ai découvert encore une fois par hasard l'album Magician's Theater, et avec lui une musique vraiment originale jamais entendue nulle part ailleurs. C'est dire que je me réjouis de voir et d'entendre la prestation des six ukrainiens - quatre hommes et deux femmes - qui composent le groupe. Nouveau remplacement de matériel, nouvelle configuration de scène. Antony souhaite profiter du porte clavier de Andrew, du groupe précédent, mais celui-ci est trop petit pour son matériel, il est obliger d'en changer. Olga (à gauche) amène avec elle guitare acoustique, triangle, shaker, tambourin à cymbalettes, Antony installe quatre claviers : deux pour lui, deux pour sa femme Olga (à droite). Ce groupe est une olgarchie à lui tout seul, voilà j'ai réussi à la placer celle-là vous êtes tranquilles pour le reste de ce Live Report. A ces instruments s'ajoutent la batterie pour Kostya, ainsi que deux guitares : à Max la guitare électrique, à Oleg la basse. Diversité des personnages - les deux Olga sont vraiment de dignes ambassadrices de leur pays, pour rester dans un doux euphémisme -, diversité des instruments. Antony déplace les retours ainsi qu'un clavier destiné à sa femme, pour finalement se raviser et le remettre à sa place originelle. Ce qu'il voulait faire restera pour moi un mystère.

Karfagen Artrock IV
Photo Andreas Tittmann

Distribution de bouteilles d'eau pour chacun, et c'est parti pour l'ouverture de Magician's Theater revisitée en mode encore plus punchy que l'album. Miam miam ! Pour le titre suivant ('The Cosmic Frog and The Beast' ?), Antony présente la grenouille, tenue par Olga, et sur laquelle elle ne manquera pas de taper obstinément avec un bâton en bois pendant toute la chanson. Pauvre grenouille, je suis à deux doigts d'appeler la SPA allemande locale. On enchaine avec des titres de Sunchild, notamment 'Rain Drops'. En tout cas c'est Antony, au micro et aux claviers, qui mène la danse et entraîne tout ce beau petit monde : déplacement auprès des musiciens, encouragements rythmés avec un tambourin, sourires complices … Encore un qui est content d'être là et veut partager son bonheur d'être sur scène. Le titre suivant est l'occasion d'entendre la belle voix de Olga la rousse - les deux Olga accompagnent régulièrement Antony de leur voix pendant les titres - j'y trouve quelques accents à la Kate Bush. Les titres s’enchaînent, tout le monde a vu la petite lampe torche de l'organisation signalant à Antony que le temps imparti aux ukrainiens est déjà écoulé. Antony est tellement pris dans la musique qu'il ne voit pas le faisceau de lumière dirigé vers lui et enchaîne directement avec un nouveau titre, alors qu'un technicien pointe son nez derrière un pan du rideau noir en fond de scène. Ah mais tiens ce n'est pas fini ? C'est que j'ai du taf moi ! Nouvel éclat de rire. L'ukrainien finira par voir le signal de fin descendu devant lui dans la foule. Vu le plaisir et l'énergie qu'il met dans sa musique, je suis prêt à parier qu'il rempilerait bien pour une heure supplémentaire. En tout cas il ne souhaite pas que cela s'arrête, c'est indéniable.

Antony Kalugin Artrock IV
Photo Iris Winkler

Révérence au public, petit selfie du groupe, c'est déjà fini. J'aurais aimé entendre beaucoup plus de titres de Magician's Theater, je suis un peu frustré. Il semble que des titres de Sunchild ont été aussi joués, ceci expliquant cela. Tant pis, ça a été un bon moment tout de même. Merci à vous amis ukrainiens, vous nous amenez de l'Est un très gros vent de fraicheur dans le monde du prog.


RPWL (21:38 - 23:00)

Ce qui devait arriver arriva : les notes des deux concerts suivants ont disparu comme par magie de mon smartphone. Alzheimer ne s'étant pas encore invité à ma table, je ne serai donc pas totalement sec pour ces comptes rendus. Un gros rideau-écran blanc descend du plafond, on a l'air de passer à la vitesse supérieure en ce qui concerne la gestion de la scène. RPWL est le second groupe à jouer à domicile dans ce festival. La fosse est maintenant pleine, les quatre musiciens bien en place. Bottes de défilé militaire projetées à l'écran, fond de musique hanté et oppressante, Yogi arrive sur scène, bien sûr sous des applaudissements nourris, et entame le premier titre.

RPWL Artrock IV
Photo Andreas Tittmann

Vu les images projetées à l'écran, on ne parle sûrement pas du pays des bisounours. Faut-il le préciser, Yogi a avec ses bras en croix une belle présence sur scène, et habite aussi les titres joués. Nous avons droit à des moments de révolte, et d'autre plus intimistes comme ce titre joué sur une touchante animation du pêcheur qui, ligne à l'eau, cœur accroché à l'hameçon, appelle et attend sa moitié potentielle. Les détails du Jardin des délices de Jérôme Bosch seront projetés par enchaînements rapides sur un titre suivant, en écho au premier titre sur la folie du monde, de la guerre, et de toute forme de pouvoir que chacun peut ériger en ce qu'il croit être son Dieu. Yogi s'éclipsera sur un titre pour laisser place à la musique, et prendra le Moog sur quelques titres suivants aux côtés de Markus et des deux autres claviers.

Je n'ai pas reconnu beaucoup de titres joués ce soir-là - du groupe je connais essentiellement l'album Beyond Man and Time -, c'était indéniablement un beau moment pour la salle maintenant bien remplie. De ce concert j'en retiens la présence de Yogi, ainsi que les thèmes abordés et illustrés au travers des clips et images projetés.

RPWL Artrock IV
Photo Andreas Tittmann


IQ (00:00 - 01:20)

Après un rapide aller-retour aux stands des groupes et trois CD en poche, je reviens dans la salle. La préparation de la scène prend environ une heure par le staff nombreux du groupe anglais avant que IQ n'entre sur scène. Le réglage difficile des trois projecteurs prend beaucoup de temps, le challenge pour le technicien qui monte et descend de son escabeau toutes les deux minutes étant d'obtenir trois images de taille identique et parfaitement alignées, ceci avec des supports assez récalcitrants à des réglages fins.

IQ Artrock IV

Les quatre musiciens en place, fumigènes et lumières bien distillés, le groupe fait monter la tension sur l'introduction sombre et mystérieuse de 'From The Outside In'. Peter entre en scène et entame les paroles du titre sous les vivats de la salle. C'est la première fois que je vois un chanteur de rock en costard cravate sur scène, c'est quand même assez inhabituel. A mon grand bonheur le groupe jouera pas mal de titres de leur dernier album. Je reste très partagé sur la voix de Peter. Son jeu de scène colle bien aux titres joués, de ce concert je retiendrai le changement de personnage, lunettes de soleil, gants blancs qui resserrent leur étreinte sur un cou à l'agonie. Michael, le seul membre originel du groupe depuis sa formation en 1981, statique, reste dans un jeu sobre mais efficace à la guitare, on sent qu'il prend encore et toujours du plaisir à jouer.

IQ Artrock IV
Photo Iris Winkler

IQ Artrock IV
Photo Andreas Tittmann

Applaudissements nourris, un rappel, et le concert est déjà fini au bout d'une petite heure et demie. Il est temps d'aller se coucher.

Rédigé par : Laurent