Titres
Formation en 2014
Pyrah ou ce petit vent de fraîcheur qui souffle sur le metal progressif hexagonal... Plus le temps passe, plus je découvre des formations capables de rénover ce formidable édifice musical au pied duquel je viens me recueillir quasi quotidiennement. De nouvelles pierres sont régulièrement déposées, singulières, précieuses, placées au sommet, à la base ou sur les flancs de la pyramide, peu importe, des pierres qui complètent merveilleusement bien cette structure dont la complexité n’a d’égal que la beauté. Oui, certains vont dire que je m’enflamme, que je ne sais pas mesurer mon propos car certaines pierres restent aussi sur le côté, mais lorsqu’on se retrouve face à un jeune groupe qui met autant de cœur à l’ouvrage et qui nous livre un album aussi riche, je n’ai d’autre choix que de poser un genou à terre en signe de respect. Pyrah, si besoin était, peut donc être rassuré. En ajoutant un bloc, son bloc, certes encore un peu brut, le groupe contribue de fort belle manière à la modernisation du progressif français.
Cette formation mixte, exemple de complémentarité homme/femme, nous vient de Strasbourg et ne se contente pas de reprendre des codes séculaires usés jusqu’à la corde, mais impose sa patte d’entrée ce qui est déjà, avouons-le, plutôt remarquable. Alors bien sûr, on retrouve çà et là quelques influences, c’est inévitable. Comme a pu le dire un jour le regretté Peter Steele de Type O Negative, et ce avec beaucoup d’humour et de bon sens : « Tous ceux qui se vantent de ne pas avoir d’influences sont des menteurs : ai-je pompé les Beatles ? Oui ! Et j’ajoute que je ne vole qu’aux meilleurs ! ». Pyrah ne déroge pas à cette règle bien qu’il faille tempérer les propos de la légende du metal gothique. Pyrah n’a, en effet, rien volé ! Comme (presque) toutes les autres, cette formation a appris de ses aînés, même si pour le coup il ne faut pas aller chercher du côté des quatre garçons dans le vent. Quelques émanations tooliennes et des vapeurs de metal moderne (System Of A Down en tête) enrobent leur seconde offrande. J’y ajouterais une autre comparaison, moins évidente celle-ci : Clover Seeds. Un groupe clermontois qui, à l’instar de Pyrah, fait preuve d’un certain talent pour composer des riffs et arpèges que je qualifierais d’évolutifs. En sus de cela, et comme je le disais plus haut, la musique des strasbourgeois(es) se veut aussi et surtout innovante. Pyrah est un groupe qui tient à sa liberté, qui aime à défricher de nouveaux espaces sonores. Cette démarche traduit un amour inconsidéré pour la composition. Respect … je pose un second genou. Il est fort à parier que leur art occupe une bonne partie de leurs pensées quotidiennes.
Avec leur deuxième album autoproduit, ‘Part Of The Ghost World’, les membres de Pyrah font montre d’une capacité certaine à construire des morceaux techniques à la forte teneur mélodique. Qu’on se le dise, ça joue, ça chante et ça tape juste. Nous le savons, le regroupement de talents ne donne pas systématiquement un résultat convaincant. On a vu plus d’un supergroupe nous décevoir, se retranchant lamentablement derrière des formules commerciales nauséeuses pour plaire au plus grand nombre. Mais là, il s’agit d’un supergroupe formé de talents non encore exposés, gouvernés par leur passion, et leur association fonctionne parfaitement. Les idées se ramassent à la pelle, les riffs et mélodies vocales imparables pullulent, si bien que cette abondance de bonnes intentions peut parfois bousculer, presser l’auditeur en ne lui laissant pas suffisamment d’espace et de temps pour s’installer dans une atmosphère, qu’elle soit métallique ou douce. En effet, le menu est copieux. Certains très beaux passages auraient peut-être mérité de s’étirer davantage. Une critique qui n’en est pas vraiment une et qui prouve que le groupe a encore des tiroirs bien remplis.
‘Stumble’, titre de presque sept minutes aux allures de montagnes russes, ouvre les hostilités. Ambiances éthérées, passages rapides et heavy sont au menu de cette première composition. Immédiatement, Stéphanie Montel, la vocaliste, fait forte impression. Son chant clair est parfaitement maîtrisé et ses interventions, nombreuses, très bien placées. Son timbre de voix se rapproche parfois de celui d’Anneke Van Giersbergen (The Gathering) ou de celui de Floor Jansen (After Forever, Nightwish), deux références absolues de la communauté metal. Mais la belle aime aussi se changer en bête. Sur le final de ’Averting My Eyes’, la chanteuse se débarrasse de sa mue, nous la jetant au visage avec autorité. Ce morceau pour le moins culotté surprend de prime abord, son écriture insolente semblant bien trop facile en comparaison des autres titres… Néanmoins on se retrouve vite hypnotisé par le rythme imprimé par Lucie Duval, batteuse douée à la forte personnalité, et par ces riffs et lignes de basse sucrées qui s’ancrent dans notre tête pour ne plus en sortir. Pour clore cet étonnant mais délicieux divertissement, les hurlements de Stéphanie Montel finiront par réveiller en nous une rage adolescente qui sommeillait depuis bien trop longtemps. Au terme de ce deuxième titre, un constat s’impose : Pyrah refuse clairement d’entrer dans le moule. Et c’est très bien comme cela !
Sur ‘Locked and loaded’, ‘Everything Hurts’ ou le très accrocheur ‘Aesthetic Rage’, les quatre élèves doués montrent encore un peu plus les dents. Ces compositions dynamiques et globalement agressives sont taillées pour le live. Jean-Loup Traore, guitariste et tête pensante de la formation, est un maître dans l’art d’imaginer des combinaisons de notes variées et percutantes. Il seconde régulièrement la vocaliste au chant. Un petit plus pas désagréable qui étoffe leur musique et affirme encore un peu plus leur identité. Notons à nouveau le travail dantesque réalisé sur les lignes de chant qui complètent avec beaucoup de pertinence cette déferlante de riffs qui renvoie l’auditeur dans les cordes.
Arrêtons-nous un instant sur ‘Aesthetic Rage’, tube metal jouissif plutôt barré. Méchamment heavy et mélodique, flirtant avec le trash, faisant penser à la fois à Iron Maiden, Rage Against The Machine et System Of A Down, ce titre impressionne en mêlant parfaitement les références précitées aux idées du groupe pour un rendu unique et d’une efficacité exemplaire. Une symbiose parfaite entre metal moderne et plans old-school. Celui qui ne secoue pas la tête à l’écoute de ce morceau, qui ne frissonne pas sur le chant et le monstrueux cri evil poussé par Stéphanie (à 4mn15 pour être précis) s’est définitivement trompé de chapelle.
Si Pyrah est capable d’écrire des morceaux renvoyant à une certaine colère juvénile, le groupe sait aussi dompter ses émotions en les délivrant de façon beaucoup plus nuancée. Sur ‘All Of Us’ et ‘Manufacturing Doomsday’, les emportements sont contrôlés pour être dévoilés progressivement. Encore une belle prouesse des alsaciens(nes) qui parviennent à contenir leur créature, à la discipliner pour l’emmener sur le chemin de la sagesse. Difficile de ne pas succomber aux charmes des ambiances dépeintes sur ces deux compositions dont le canevas aura certainement demandé quelques heures de réflexion pour aboutir à un résultat aussi mature.
Avec un tel potentiel créatif, rien ne devrait freiner l’ascension de Pyrah. Un groupe qui mérite d’être reconnu, d’être signé par une maison de disques digne de ce nom … Ce breuvage rafraîchissant et intelligent est à consommer sans modération. J’attends la suite avec impatience.