Titres
Formation en 2000
Tomi Joutsen [chanteur], Markku Mäkinen [guitariste], Marko Välimäki [guitariste], Janne Telen [bassiste], Erkki Virta [batteur], Timo Vainio [clavier]
Les finlandais de Sinisthra (ex Nevergreen) se sont associés il y a près de vingt ans mais ne proposent aujourd’hui que leur deuxième album. Leur premier méfait, ‘Last Of The Stories Of Long Past Glories’ qualifié à sa sortie de metal gothique, date déjà de 2005. Depuis, la bande est en sommeil, découragée certainement par le départ de Tomi Joutsen (le vocaliste) qui peu de temps après la publication de ce disque s’est fait enrôler par Amorphis, valeur sûre de la scène metal. Une telle opportunité ne se présentant pas deux fois, le chanteur n’a pas dû réfléchir bien longtemps. Suite à son intronisation au sein de cette autre formation nordique, sa carrière a littéralement décollé. Mais Tomi est revenu, ou en tout cas s’offre un petit plaisir avec ses anciens camarades de jeu dont le line-up n’a pas changé depuis 2005, chose assez rare pour être soulignée. Alors bien sûr, il ne faut pas s’attendre à du Amorphis. Ceux qui affectionnent le chant growlé peuvent passer leur chemin. Il n’y en a point sur cet opus. Sinisthra a en effet sa propre identité, même si le single de plus de treize minutes mis en avant pour promouvoir The Broad And Beaten Way a une accroche mélodique assez proche de ce que peut proposer Amorphis. Pour le reste, le sextet nous emmène sur une autre voie. Un chemin finalement assez difficile à suivre, dont la cohérence n’est pas évidente de prime abord.
Sinisthra s’illustre tout d’abord par le biais d’un artwork pour le moins décomplexé. Les couleurs pâles, mélange de bleu roi délavé et d’orange tirant sur le beige sable s’associent bien. Pas de problème à ce niveau, non. En revanche, lorsqu’on y regarde d’un peu plus près, on constate à quel point le montage est curieux pour ne pas dire grossier. Cet étrange personnage (Adam ? nous y reviendrons …) plongé dans ses pensées et lévitant au-dessus des marches d’une antique construction, est collé au centre du visuel sans aucun respect des dimensions, ce qui, forcément, interpelle sur la démarche artistique suivie. Car il ne peut s’agir que de cela : une intention artistique singulière, une vision personnelle de ce que représente le Beau. Un travail qui se situe quelque part entre la production d’un collégien (plutôt doué quand même !) et les emportements créatifs d’un artiste incompris ! De toute évidence, une pochette qui montre que le groupe se soucie assez peu des critiques.
Visuellement inhabituel donc... Et musicalement, que nous proposent les finlandais ? Sinisthra pratique un metal élégant et noble, teinté de mélancolie, comprenant de nombreux passages atmosphériques lourds ou aériens. Mais là encore, difficile de coller une étiquette à la musique développée par le groupe car les deux premiers titres sont assez différents du reste de l’album. Partant d’une base metal gothique traditionnel et se prolongeant sur une longue et saisissante pièce progressive divisée en trois chapitres, le reste de l’album est plus difficile à pénétrer car peut-être moins marquant. Un conseil toutefois : ne zappez pas trop vite, les dernières plages ne sont pas exemptes d’agréables moments. Il vous faudra simplement un peu de patience pour accéder à l’univers du géniteur de cet album, le guitariste Markku Mäkinen.
‘Eterne’ qui ouvre le bal, n’aurait pas dépareillé sur une réalisation des anglais de Paradise Lost première époque. Cette référence m’offre une transition rêvée pour vous parler du concept de The Broad And The Beaten Way car, de paradis perdu, il en est effectivement question ! Les textes s’inspirent en effet du poème épique (le Paradis perdu justement) écrit par John Milton au dix-septième siècle. Une œuvre qui évoque la tentation d’Adam et Eve par Satan puis leur expulsion du jardin d’Eden. D’ailleurs le titre choisi pour cet album en est une citation. Mais refermons cette parenthèse et revenons à ce premier titre, ‘Eterne’. Efficace sans être transcendant, ce mid tempo énergique est porté par un refrain rapidement mémorisable et transpercé d’un solo tout en feeling plutôt atypique. Une constante sur cet album, qui contribue, à mon sens, à en faire le charme. Les finlandais n’ont en effet que faire des interminables démonstrations techniques et privilégient plutôt les atmosphères.
Détaillons à présent ‘Closely Guarded Distance’. Treize minutes au compteur donc, et choisi par le groupe pour se rappeler au bon souvenir de son public. Formé à partir de plusieurs ébauches de compositions, on aurait pu craindre un manque de cohérence, mais les parties s’assemblent les unes aux autres avec une belle fluidité. Débutant de façon plutôt musclée par un riff de guitare lourd dont la structure se rapproche du son caractéristique des groupes de metal moderne, le chant posé (disons plus traditionnel) de Tomi vient ensuite nuancer le propos. De cette fusion réussie des tendances de deux époques à la finesse d’un metal atmosphérique doomesque, les finlandais parviennent subtilement à dissimuler la couture. Le fondu est parfait. Une deuxième partie qui plaira aux amateurs du mésestimé Green Carnation. Lourd et spleenesque, floydien dans l’esprit, la bande nous fait planer, avec classe, dans les profondeurs d’un cosmos dense et mystérieux. Un passage majestueux au cœur d’une composition savamment assemblée… Septième minute : le troisième chapitre de ‘Closely Guarded Distance’ s’ouvre avec la voix emplie d’émotions de Tomi, presque tremblante par instant, et accompagnée de quelques notes de piano. Un final à nu magnifique, épique, montant doucement en intensité et confirmant quel grand chanteur est Tomi. Mais la frontière entre le mielleux et le subtil est ténue. Certains y seront sensibles, d’autres trouveront cette conclusion trop évidente.
Le groupe nous a portés haut avec cette œuvre riche et imposante. Difficile d'enchaîner… ‘Halfway To somewhere Else’, le titre suivant, évolue en terre anathemienne et s’étire sur sept longues minutes. Cette ballade mélancolique parsemée de délicates interventions des guitaristes aurait peut-être gagné à être plus concise même si le chant en écho est du plus bel effet et relance un peu la machine. Reste qu’on en ressort un peu endormi, d’autant plus que le refrain n’est pas particulièrement marquant. La puissante partie instrumentale qui clôt le titre arrive un peu trop tard.
‘Morning Frail’ ne parviendra pas à véritablement nous réveiller. Tomi Joutsen, en bon élève appliqué, se lance sur des couplets aux mélodies peu originales. Lorsque les guitares arrivent, la monotonie du propos s’en trouve malheureusement renforcée. Aïe, quelque chose ne prend pas alors que l’exécution est propre. Certes le refrain lumineux et l’étrangeté du solo soutenu par des rythmiques basiques ouvrent de nouvelles voies intéressantes mais on arrive difficilement à chasser notre première impression.
‘Safe In The Arms Of The Everlasting Now’, au développement encore une fois très étiré, se présente comme une composition agréable, comportant de belles mélodies vocales. On se demande simplement pourquoi le groupe ne développe cette belle atmosphère épique qu’au bout de six minutes. Avec le vaporeux ‘Ephemeral’, Sinisthra nous porte un peu le coup de grâce. Ce sentiment d’uniformité que nous ressentions depuis quatre titres déjà s’installe définitivement en nous.
Les finlandais viennent de publier un album qui possède indéniablement des qualités, mais l’agencement des morceaux n’est pas des plus pertinents. Après un départ prometteur, le groupe peine à redynamiser sa musique. Les mélodies manquent encore de relief et sont parfois répétitives. Toutefois il se dégage une atmosphère inhabituelle sur cet album, presque spirituelle… Non, il ne prendra pas la poussière. Je le réécouterai de temps à autre pour essayer de percer les mystères qu’il renferme.