Laurent : bonjour Erik, merci de nous recevoir à La Maison Bleue qui est en pleins travaux d'agrandissement. Nous voulions vous donner la parole lors de cette étape importante dans la vie de ces locaux. Tout d'abord, La Maison Bleue existe depuis combien de temps ?
Erik : le lieu existe depuis onze ou douze ans. Julien, notre président, a un jour visité le bâtiment et a signé pour faire un truc dans ces locaux. Le bâtiment était à l'époque une usine de peinture, il était déjà bleu. On ne l'a jamais appelé La Maison Bleue, c'est les musiciens, à force de venir, qui disaient "Ah la maison bleue !" (rires). Donc on gardé le nom, on a trouvé ça cool.
La 'relocalisation' nous a permis de travailler dans de bonnes conditions, d’avoir des bureaux, et de développer nos artistes et notre label. Il y a un appart au-dessus, c'est l'occasion de disposer aussi d'un logement. Au début c'était de la débrouille, et ça a pris de l'ampleur, parce qu'on répondait à une vraie demande, c'est-à-dire proposer des locaux de répétition dans des conditions décentes. C'est un bon compromis, c'est un local un peu haut de gamme, il y a un peu de confort, des gens sont là pour vous accompagner, et en même temps ça reste Rock'n'Roll, c'est ce qui plaît, on ne se prend pas la tête.
Notre association, Dirty 8, existe depuis vingt ans, au début on était à Strasbourg au 38 Avenue des Vosges. Le lieu est rapidement devenu un repaire d'artistes et un lieu de création, et le numéro Thirty Eight s'est transformé en Dirty 8, le nom est resté (rires).
Laurent : si j'ai bien compris Dirty 8 est l'association qui gère toute la structure ?
Erik : Dirty 8 gère le bâtiment et les locaux de répétitions, à l'origine c’était un label de musique. Dirty 8 englobe maintenant la partie label et management. En fait c'est beaucoup de structures en une qui sont hébergées ici. Il y a aussi D8K qui est une société de régie technique, mais là on est sur des projets plus lourds.
On a monté au départ les locaux de répétition, on est tous musiciens et on en avait marre de répéter dans de mauvaises conditions, avec du matos non surveillé. Très tôt on s'est positionné sur de l'accompagnement de groupes, bénévolement parce que c'est notre passion. On s'est dit ensuite que si les groupes sont contents d'avoir du support ils vont s'abonner et venir répéter chez nous. C'est juste du bon sens !
Avec cette petite salle de concerts et notre mode de fonctionnement, on a fini par se retrouver trop limités. Dans le spectacle, c'est compliqué, il y a des lois, c'est con à dire, et c'est très dur de respecter la loi. Nous fonctionnions jusqu'à présent sur un modèle associatif, en ouvrant les soirées aux membres uniquement et en privatisant les concerts, mais rapidement la demande du public a dépassé ce cadre, c'est pourquoi nous avons envie de tout faire dans les règles. C'est pour cela qu'on engage des frais et des travaux, comme cela on sera dans les clous.
Et puis c'est mon rêve, je pourrai dire aux artistes qui répètent chez nous depuis des années qu'ils peuvent jouer chez nous et avoir un salaire, conformément à la loi.
Laurent : en tout la structure représente combien de personnes ?
Erik : on est quatre à travailler à La Maison Bleue, sans compter Julien. On a en tout cas trois permanents qui assurent tout le fonctionnement de la maison. On essaie toujours de faire de notre mieux, on jongle avec les contrats, car avoir une seule personne est insuffisant pour tout gérer. Pour les concerts et la vie de la maison, nous pouvons compter sur une quinzaine de bénévoles de l'association. On ne veut pas que les groupes se plaignent de l'organisation, on insiste pour avoir des gens compétents et qui savent résoudre les problèmes. C'est le petit plus qui fait que les gens aiment bien répéter chez nous.
Laurent : vous exportez vos compétences sur d'autres concerts et événements ?
Erik : oui, Julien a un réseau dans le milieu, c'est sa force; quand le Zénith a besoin de renforts ils l'appellent, ils savent qu'il a la capacité pour s'en occuper. On est sur d'autres chiffres, c'est la raison pour laquelle on n'est plus sur une asso mais sur une société dont le siège social est aussi ici, avec des activités séparées.
En ce qui concerne Dirty 8, à l'époque ils se sont juste mis ensemble entre plusieurs groupes pour répondre à la question "Comment peut-on faire pour jouer des concerts ?". Julien qui chapeautait l'un des groupes a décidé de faire ça proprement en créant une association. Il a travaillé des années chez Stacco, dans le milieu du spectacle, et tous ses salaires passaient dans l'asso pour financer les premières productions d'albums. C'est un passionné !
Laurent : effectivement il y a des coûts à assumer derrière.
Erik : absolument. Le bâtiment est poussiéreux et encore en travaux, mais ça vous permet de vous rendre compte de ce projet tout nouveau. Après vingt ans d'asso, on était arrivés à un stade où tout fonctionne. Julien vit à moitié en Italie pour raisons familiales et aurait très bien pu en rester là, laisser tout ronronner. Mais il a décidé de tout remettre en jeu et d'investir personnellement. Au bout de quinze ans d'aventure, on replonge dans un nouveau projet.
Laurent : c'est lui qui s'engage financièrement dans le projet ?
Erik : entre autres puisqu’il en est le cautionnaire via les prêts effectués, mais on va dire que toute l'asso est engagée ! On est sur de belles sommes, il a fallu désamianter, refaire la façade, tout détruire et remaçonner, etc. Il y a des aides bien sûr: la ville de Strasbourg et la Région Grand Est nous ont aidé et nous aident pour les locaux, la DRAC (ndlr: Direction Régionale de l'Action Culturelle) a toujours été derrière nous parce qu'ils ont toujours adoré le projet, ils ont conscience qu'on répond vraiment à une demande, et nous sommes aussi subventionnés par le CNV (ndlr: Centre National de la chanson, des Variétés et du jazz). A noter que ce nouveau projet est auto-financé à hauteur de 70%.
Pour la nouvelle salle, on part sur de nouvelles bases, des bases saines. Il y a des normes à respecter, par exemple toutes les portes doivent être coupe-feu, ce qui nous amène à refaire aussi les locaux de répét. Il a été estimé qu'il faut aussi des issues de secours en bas - non prévues à l'origine -, car c'est le même bâtiment même si les activités sont séparées. Autre exemple, les toilettes seront aux normes handicapés, etc.
Laurent : on fait un petit tour des lieux ?
Erik : avec plaisir. (Une petite visite guidée des lieux en travaux s'ensuit).
Une nouvelle entrée est prévue, avec une pente aménagée pour accès handicapés, ainsi qu'une petite billetterie et un petit vestiaire. Les artistes disposeront d'une plate-forme pour décharger leur matériel, et auront une loge à part. S'ils veulent faire leur rock star et ne pas croiser le public ce sera possible, ce qui n'était pas le cas avant, mais normalement on n'aura pas ce genre d'artiste (rires). La loge comprend douche-toilettes, et une petite mezzanine s'ils veulent rester dormir sur place au lieu de prendre un hôtel, que l'on prévoit de toute façon.
On garde un couloir derrière la scène pour amener le matériel, cela laisse encore une belle place pour la scène. Comme ça le batteur du second groupe peut monter son matos pendant la première partie. On a aussi pensé au confort des artistes !
L'espace régie sera derrière le bar; un espace séparé du public pour que les techniciens ne soient pas dérangés. Ils ne seront pas loin des tireuses, ils seront contents de travailler chez nous (rires). On a aussi le projet d'embaucher un vrai barman, on va repenser tout le mode de fonctionnement.
On n'est pas encore fixés, on va de toute façon voir avec les années comment ça va marcher. En tout cas je suis complètement à fond dans ce nouveau projet, Julien est mon pote et mon patron depuis maintenant douze ans, je suis trop content d'être là parce que ce lieu est dynamique et vivant. Ce qui stagne est mort pour moi, tant que c'est vivant et que ça bouge, c'est très bien. En tout cas tout le monde est super motivé par ce projet, ça donne envie. J'espère que ça va plaire aux gens, en tout cas on met les moyens et on attend de voir. On ne sait pas si ça va être rentable, mais on y va !
Laurent : pour cette taille de bâtiment avec une jauge de trois cent trente personnes, il y a un créneau. Nous avons en permanence des demandes d'artistes français ou étrangers qui sont constamment en recherche de salles, et c'est l'enfer pour eux.
Erik : absolument. On a fait notre maximum avec le bâtiment existant. Si on avait pu pousser les murs on l'aurait fait ! (rires). On voulait faire aussi grand que possible tout en gardant les locaux de répétition, parce que c'est ce qui permet de payer les salaires des permanents, et le loyer de la maison.
Maintenant il faut qu'on s'attaque à la programmation, histoire de ramener des gens dans cette salle.
Laurent : sur la programmation, force est de constater que cette programmation est très éclectique: concerts, expositions, week-end jeux vidéo, ventes au profit d'associations, etc.
Erik : vous avez bien cerné l'esprit. Pour schématiser, tant que c'est cool et que ça nous plaît, on le fait. On peut organiser une expo, elle ne sera jamais prout-prout parce que ce n'est pas notre délire. Si le mec a des photos et que ça nous parle, on y va. On est rock et metal, mais pas que. On va essayer de garder cette identité, tout en gardant à l'esprit les réalités du marché. Bien sûr, on va être une salle de concert, il y a du personnel à payer, etc., on va essayer de ne pas se faire bouffer par ça, mais si on peut toujours faire ce qui nous plait - c'est mine de rien notre petit côté rebelle – si on a envie de mettre une expo en plein milieu de deux concerts de grindcore, eh bien on va le faire (rires). Aucune limite là-dessus ! C'est l'esprit du lieu. C'est à la fois carré avec des techniciens professionnels salariés, mais en même temps on se laisse un espace de liberté, cette liberté de dire "On va le faire, et ça va être bien".
J'organise aussi chaque trimestre un 'Maison Bleue Festival', j'espère que je pourrai continuer cette formule avec notre nouvelle salle. Je prends trois groupes des mêmes esthétiques qui répètent chez nous, je les mets ensemble et je fais une date ici. Le groupe qui est plus en avance est mis en tête d'affiche et porte les deux autres. Sinon je dis aussi aux groupes qu'ils ont une salle pour un concert, charge à eux d'organiser le concert, de mettre la main à la pâte, faire la promo, organiser l'événement, trouver les artistes, et jouer eux-mêmes. Moi du coup je m'occupe juste de la partie logistique.
Laurent : l'ouverture est prévue pour quand ?
Erik : c'est à priori prévu en Septembre, mais ce n'est pas officiel, il faut déjà finir les travaux, avoir tous les accords pour pouvoir avoir le fameux label ERP (ndlr: Etablissement Recevant du Public). On a une date qui est calée, le 21-22 Septembre. On se laisse une marge de manœuvre mais à priori on est calés là-dessus. Il y aura une ouverture officielle le 18 Septembre pour la mairie, pas du métal mais une soirée DJ un peu sympa pour inviter tout le monde, présenter la salle et discuter. On va fêter les vingt ans de l'asso pour l'ouverture de la salle, on va se faire plaisir je pense avec une programmation à nous.
Laurent : c'est quoi une programmation à vous ?
Erik : on y fera jouer tous les copains, les groupes de notre label, c'est-à-dire trois, et un groupe qui se reforme pour l'occasion, les seuls hongrois du collectif. Ils avaient la même chose que Dirty8 mais à Budapest, on a fait énormément d'échanges avec la Hongrie. Le groupe n'existe plus mais ils se reforme pour l'occasion.
Laurent : tu parlais tout à l'heure d'une teinte rock et metal.
Erik : oui, même si à l'origine notre label est un label de metal qui a ouvert ensuite au rap rock, rap métal, on ne va pas forcément faire que du rock métal. On va devenir une vraie salle de musiques actuelles, et si on a un groupe de rap ou autre et que c'est cool, on peut très bien les faire jouer chez nous.
Laurent : aussi du métal progressif ? (rires)
Erik : pourquoi pas, du moment que ça nous plait.
Laurent : donc toutes musiques.
Erik : toutes musiques. Actuelles amplifiées. Si les groupes ont besoin d'un lieu pour se diffuser, il faut qu'on soit là. C'est sûr que de cœur et esthétiquement on est une asso rock, on va plutôt récupérer ce qui ne passerait jamais ailleurs, parce que nous on s'en fout on a envie de le faire (rires), c'est cool. De toute façon on va être amenés ne serait-ce que sur la programmation à se concerter avec la Laiterie.
Laurent : si un groupe veut venir jouer ici, comment ça se passe ? Est-ce qu'il y a des pré-requis ou des conditions particulières ?
Erik : on reçoit énormément de demandes, on ne peut pas évidemment répondre à tout. Je suis obligé de toute façon de faire un écrémage. Je m'axe déjà beaucoup sur la scène locale. Le groupe qui est de Montpellier, à moins qu'il soit en tournée ou que ce soit pertinent, je vais les rediriger vers d'autres salles. Remplir un petit local à Montpellier et remplir une salle de trois cents personnes, c'est différent. Même avec toute ma bonne volonté, je ne vais pas y arriver, et en plus le groupe risque d'être dégouté.
Je demande un dossier de presse, un enregistrement, CD ou autre. Le groupe doit être suffisamment mature pour avoir la capacité de jouer sur scène - pas le groupe qui a trois répét et basta -, c'est mieux pour tout le monde (rires).
J'avoue que c'est compliqué pour les groupes extérieurs. Je vais plutôt m'axer sur des groupes locaux, sur des premières parties quand c'est possible. Mettons qu'on programme et négocie une tête d'affiche avec le tourneur et qu'il reste une première partie pour un, voire deux groupes, je vais déjà privilégier les groupes que l'on accompagne à La Maison Bleue, et seulement si c'est pertinent, par exemple s'il y a une actualité. Sinon je laisse ouvert, voire je poste une annonce. Je travaille aussi beaucoup en relation avec les autres salles ou CRMA (ndlr: Centre de Ressources des Musiques Actuelles), comme le Caméléon à Sélestat ou le Noumatrouff à Mulhouse, beaucoup avec Zone51 en l'occurrence.
Laurent : quand on parle local, c'est uniquement Strasbourg, ou Grand Est ?
Erik : pas uniquement Strasbourg. Maintenant les groupes qui répètent ici peuvent se dire que c'est cool parce qu'ils peuvent aussi jouer en concert. Je ne vais pas faire de copinage sous prétexte que ce sont des potes qui veulent absolument jouer. Soit le style ne colle pas, ou le groupe n'est pas prêt, ou il n'y a pas d'actu, par contre si cet autre groupe sort un album, c'est intéressant. Des fois ça peut être délicat mais c'est comme ça.
Laurent : là on parle de groupes qui ne passent pas par un tourneur, c'est ça ?
Erik : oui. Quand on parle de tourneurs, on est sur une partie plus professionnelle. On parle de contrats, de cachets, etc. Ce sont des groupes plus importants qui vont remplir la salle et qui demandent un cachet en échange.
Laurent : le groupe doit être affilié à un tourneur pour faire son concert ?
Erik : souvent, mais pas forcément, on a des licences d'entrepreneurs, et on peut salarier en direct les groupes. Prenons un exemple avec une tête d'affiche. La première date qu'on a signée est Phil Campbell, le guitariste de Motörhead. Il vient avec son groupe. Là on a un contrat signé après négociation avec le tourneur. En échange j'ai de la place pour une première partie locale. C'est le cas de figure idéal. J'ai ma tête d'affiche payée en direct, et je fais un contrat de cession pour le groupe qui répète ici; ils n'ont pas de frais, ils ont juste l'ampli à monter, mais ce n'est pas pour cela qu'ils n'ont pas d'argent, parce qu'ils bossent aussi.
Des fois des tourneurs me contactent pour caler une date de 'dépannage' avec un groupe entre deux dates dans la région, on peut faire un deal sur une date non rentable pour eux ou pour nous, et la fois d'après ils peuvent me faire un bon prix sur un autre groupe qui va remplir la salle.
Tout cela est tout nouveau aussi pour moi, je continue d'apprendre le métier.
Laurent : oui c'est du renvoi d'ascenseur.
Erik : c'est ça. Le tout sans entrer en concurrence avec d'autres salles dans le coin qui ont la même jauge, le Molodoï étant à part (ndlr: le Molodoï est géré par un collectif d'associations). Le reste est du bon sens. Si on me propose un groupe de jazz manouche, je vais plutôt les réorienter vers Django Reinhardt dont c'est le cœur de cible. C'est juste travailler main dans la main avec les différents acteurs locaux, on va surtout apprendre sur le tas, faire notre nouvelle expérience en tant que salle de concerts.
Laurent : petite question sur votre localisation. La Maison Bleue est excentrée de Strasbourg. Par rapport aux salles qui existent, est-ce un avantage, un inconvénient par rapport au public, à l'endroit, ou aux salles de répét existantes ?
Erik : difficile à dire. Des grandes salles de musique en plein centre de Strasbourg je n'en connais pas beaucoup. La Laiterie est presque une exception mais ils ne sont pas au centre ville. Django Reinhardt est encore plus loin au Neuhof. C'est plutôt un avantage. Les grandes salles sont excentrées, parce qu'on peut y faire facilement du bruit, et même si c'est insonorisé, il y a toujours des nuisances. Et puis il y a le stationnement. Qui de nos jours va encore en voiture à la Laiterie ?
Laurent : nous. Mais on y va à l'avance pour les interviews (rires).
Erik : on n'a pas de parking, mais est-ce vraiment un problème ? Ici tout le quartier est gratuit.
Laurent : en fait avec ce projet la salle passe à une toute autre cylindrée.
Erik : oui. Ce ne sera plus un petit bar ou local en ville où on peut y mettre cinquante personnes comme l'Elastic Bar par exemple. Il y a des gens qui sont déjà en ville, qui passent plus ou moins par hasard et entrent en voyant qu'il y a un concert ce soir-là. Pour arriver à La Maison Bleue, on n'y arrive pas par hasard. Autant on n'aura pas de public de passage, autant les gens qui viennent viendront parce qu'ils auront quelque chose à y faire, et je trouve cela plutôt intéressant: un concert, une expo, boire un coup, répéter, c'est ce qui rend les lieux intéressants et vivants. La grosse force va être le bouche à oreille. Tout le monde connaît La Maison Bleue au moins de nom, mais tous n'y sont pas venus. Et puis il y a un côté intéressant de se dire "Seuls les vrais savent en fait". Ca fait un peu club privilégié (rires).
La programmation est maintenant vraiment le point important. On doit travailler main dans la main avec les autres lieux de diffusion alentours, en bonne intelligence tout simplement. La Laiterie a la grande salle de mille personnes, donc pas sur le même créneau que nous, on doit juste se concerter sur nos programmations entre "jauge-clubs". Quant à l'espace Django, ils se positionnent sur d'autres esthétiques.
De toute façon on va être beaucoup plus sur l'accompagnement de groupes, la scène locale, et proposer beaucoup plus de locations pour des asso extérieures qui le veulent.
Laurent : une prestation de location de salle et/ou de local en fait.
Erik : c'est ça. Si une asso veut juste un lieu, on doit pouvoir leur fournir clés en main un lieu avec les agents de sécu, la technique, la régie. Il est tout à fait possible de louer la salle et de récupérer les entrées. Essayer de proposer ce que d'autres salles ne font pas, sinon il n'y a pas d'intérêt, on va juste se tirer une balle dans le pied et embêter les autres.
En tout cas c'est un projet global, entre le label qui est maintenant un peu moins actif, les locaux de répét, la salle, l'accompagnement et le développement d'artistes, c'est un beau projet mais c'est du boulot. On est un peu fous.
Laurent : (La conversation - toujours à bâtons rompus - qui suit porte plus sur le milieu local musical, mais nous l'avons laissée car nous la trouvons très intéressante pour les curieux de tout poil).
sur le côté label, il y a plein d'artistes qui cherchent à être signés par un label, des labels qui ont un réseau assez large, mais on dirait qu'en France trouver un label, une salle, c'est juste l'enfer.
Erik : c'est vrai. J'ai fait de la musique depuis quinze ans, en tant qu'amateur et professionnel, et j'ai fini par monter mon propre label. J'ai eu des propositions, mais je ne vois pas pourquoi je devais payer un label pour quelque chose que je pouvais faire moi-même. Effectivement plus le label est gros, plus il a un poids en termes d'interviews et de publicité, je n'avais bien sûr pas ce poids-là. Tout cela demande juste du temps et du travail. C'était 'bénévole', je m'imposais une discipline de travail, je me développais tout seul, je n'avais de comptes à rendre à personne. Oui c'est dur pour les artistes, parce que ce qu'on propose surtout actuellement ce n'est pas grand-chose, c'est plutôt "Débrouillez-vous, payez tout, à la limite je fais presser le disque".
Laurent : et encore …
Erik : et un label ne fait pas distributeur pour autant, ce n'est pas parce que tu as signé que tu auras ton disque dans les bacs. Si c'est pour avoir une distribution numérique je conseille aux groupes de le faire eux-mêmes, d'ouvrir un compte sur iTunes et de distribuer leur musique.
C'est un travail de fond que je mène avec les groupes. Je les aide à se structurer, avec une structure juridique, par exemple une association, qu'ils puissent faire des factures le jour où ils vendent leur disque. J'essaie de les encadrer juridiquement, sur comment ils peuvent entrer de l'argent, parce qu'à part dépenser dans les instruments ou les trajets il n'y a pas grand-chose qui rentre. Par exemple les trois-quarts des groupes qui répètent ici en sont de leur poche. On essaye de travailler là-dessus, évidemment on ne peut pas tout faire, mais on essaye de faire de notre mieux.
Je leur conseille de démarcher les labels une fois un dossier de presse établi, ça ne coûte que quelques envois postaux, on ne sait jamais. Par contre s'ils ont une proposition, je leur dit de revenir nous voir pour étudier, parce qu'il y a souvent à boire et à manger, ils risquent par exemple de se retrouver coincés avec leurs créa. On a eu le cas avec quelques groupes qui étaient sous forme d'exclusivité horrible; ils avaient le droit de ne rien faire sans l'accord du label. On leur proposait des dates de concert qu'ils n'avaient pas le droit d'accepter, puisque le label, qui ne faisait rien et ne bossait pas derrière, devait valider ces dates.
Après si ça passe le cap au-dessus ce n'est plus à nous de les aider. En tout cas s'il n'y a pas de retour de label, je leur dis "Faites le boulot vous-mêmes". Je l'ai fait, Julien l'a fait, on a fait des tournées en Europe, on a fait quatre cents dates, à la fin on rentrait même de l'argent, ce qui est complètement fou ! Je ne parle pas du temps et de tout l'argent investi, mais au final ça a marché, le groupe tournait.
Rien n'est infaisable. Je préfère leur apprendre à pêcher, et au final ils pêcheront toute leur vie plutôt que leur donner tout sur un plateau et qu'au final ça se casse la figure, que le label arrête. Qu'est-ce que tu fais ensuite ?
Laurent : c'est ce que fait aussi Hiero Strasbourg, c'est le même cœur de métier.
Erik : oui avec Pierre (ndlr: Pierre Poudoulec) ils sont très positionnés sur l'accompagnement. On est quelques acteurs culturels locaux, on se connaît tous et on travaille beaucoup ensemble. On a fait par exemple des sessions bouchons moulés, on peut les accueillir ici, on fait des partenariats sur des concerts. Pierre fait des petites actions, par contre il en fait tout le temps, et au final ça aide beaucoup plus les groupes que par exemple un label.
Laurent : pour avoir assisté par curiosité à quelques séances de formation organisées par Hiero, on se rend compte combien c'est compliqué pour les artistes. On se demande vraiment comment les artistes font pour s'en sortir.
Erik : ben clairement la majorité ne s'en sort pas (rires), c'est juste une passion. Cela devient très rarement un métier, mais c'est possible. A La Maison Bleue on a en fait tous les cas de figure: du groupe qui veut juste répéter le samedi soir entre potes et se faire plaisir, au groupe aux dents longues qui veut faire des tournées mondiales mais qui ne se donne pas les moyens, en passant par le génie qui ne sait pas se vendre. J'essaie de faire le tri et d'aider comme je peux; aiguiller un groupe vers une personne en particulier, donner un CD en main propre.
Laurent : est-ce que vous faites aussi des résidences pour les groupes ?
Erik : bien sûr, on le faisait déjà avant, mais là on va juste pouvoir le faire dans de meilleures conditions. Dans le cadre d'un accompagnement, quand les groupes sont prêts, ça a une certaine logique de les préparer à la scène. On accueille des résidences extérieures, la dernière en date était un groupe qui a joué à Décibulles et qui avait besoin de préparer ce concert en trois-quatre jours. On essaie de mettre les moyens pour ce type de préparation, on fait facturer mais on met ras des pâquerettes pour que le groupe puisse s'en sortir financièrement. Des fois c'est juste axé sur la lumière, ou sur le son. Et j'essaie de poser les bonnes questions, du genre "Est-ce que vous êtes sûrs de mettre 700 € dans deux techniciens si c'est juste pour vous regarder jouer ?". J'essaie de les dissuader, de les orienter: par exemple "Est-ce que ce budget ne serait pas mieux investi dans la promotion de votre album ?". Tout dépend de où en est le groupe en fait. J'ai en ce moment un groupe très intéressant car les gars commencent à faire leurs premiers cachets, pas le billet donné à la fin du concert, mais une vraie fiche de paie. C'est un stade intermédiaire où ils peuvent devenir intermittents. Je les d'ailleurs envoyé en résidence de quatre jours à Zone51, aux Tanzmatten. Je suis super fier de voir des groupes comme ça évoluer et devenir professionnels.
Laurent : merci Erik pour cette discussion informelle et très très intéressante. A bientôt !
Site Web Dirty 8: https://dirty8.com/
Facebook La maison Bleue: https://www.facebook.com/lamaisonbleue.stbg
Rédigé par Laurent le 16/05/2019