Titres
Formation en 2001
Dissolution en 2016
+4626-COMFORTZONE
Beardfish
Gävle – Suède – 2001
Genre : rock progressif
Discographie :
Från En Plats Du Ej Kan Se – autoproduction – 2003
The Sane Day – 2CD – autoproduction – 2006
Sleeping in Traffic: Part One – InsideOut – 2007
Sleeping in Traffic: Part Two – InsideOut – 2008
Destined Solitaire – InsideOut – 2009
Mammoth – InsideOut – 2011
The Void – InsideOut – 2012
+4626-COMFORTZONE – InsideOut – Europe, 12 janvier 2015 – Amérique du Nord, 27 janvier 2015
Musiciens :
Rikard Sjöblom – chant, claviers, guitares
David Zackrisson – guitares, chœurs
Magnus Östgren – batterie
Robert Hansen – basse, chœurs
Huitième album en quatorze ans d’existence, on ne peut pas dire que nos Suédois s’endorment sur leurs lauriers ! Capables de décontenancer le plus pur des stoïciens par les circonvolutions de leur discographie, ils reviennent avec un +4626-COMFORTZONE au titre étrange (comme une enseigne publicitaire, avec les codes téléphoniques de la Suède et de leur ville, plus le titre d’une chanson de l’album sur laquelle je reviendrai), après un The Void qui avait surpris, voire détourné, une partie de leurs aficionados par son côté plus métal…
Personnellement, j’avais surtout aimé les deux Sleeping In Traffic (Part One et Part Two), que j’avais trouvés moins décousus que le reste de leur néanmoins brillante production.
Eh bien, là, c’est fait, Beardfish devrait mettre tout le monde d’accord avec un album qui vole largement au-dessus de la production du genre. Avec ses dix morceaux aux ambiances différentes, +4266-COMFORTZONE va en décoiffer plus d’un, certains titres allant même jusqu’à toucher le Graal de la perfection des "titres qui tuent" !
En fait, le grand Manitou, Rikard Sjöblom, a repris la guitare en plus des claviers et du chant pour épauler David Zackrisson. Il est d’ailleurs devenu entre-temps, accompagnateur scénique de Big Big Train, et cette opération a l’air de devoir durer. Bon, en attendant de savoir en quoi cela pourrait mettre en péril le poisson barbe, entrons de plain-pied dans ce +4266-COMFORTZONE.
Comfort Zone : cette partie de nous-même, négative, cachée aux autres, qui résiste et protège, qui nous accompagne au long de l’existence et où certains se complaisent tandis que d’autres, tels Rikard semble-t-il, souhaiteraient en sortir…
Ce disque serait-il une anamnèse ? Peut-être… Pour le moins, il est introspectif de ce qui se passe dans la vie de nos amis suédois et dans leur bonne ville de Gävle. Ce qui est certain, c’est que Beardfish défriche, Beardfish aguiche ; nos quatre larrons ont depuis belle lurette refusé les cases et continuent de voguer au gré de leurs humeurs, de leurs découvertes, de leurs rencontres, pour finalement créer un univers qui n’appartient qu’à eux, et ça, finalement, n’est-ce pas la marque des plus grands ?
Bien entendu, on trouvera des choses, ici et là, qui nous feront penser à untel ou untel : par exemple, ce "Can You See Me Now" qui fait furieusement appel au meilleur de Ten CC ! Mais là, n’est pas le propos, cet album est bien au-dessus de tout cela. Rikard a repris à son compte une partie des guitares donc, mais il a également laissé les manettes du mixage à David Zackrisson, et cette juste répartition du travail se sent, tant le disque est inventif au niveau des compositions et de l’interprétation, tout autant qu’il l’est au niveau de la qualité et de l’équilibre du mix qui donne encore une dimension supplémentaire à la réussite majeure qu’est cet album.
Il faudrait reconstituer le puzzle de cet opus en disséquant les morceaux dans le désordre, comme ce "Ode To The Rock 'N' Roller" qui parle d’un musicien de "tribute band" qui, un beau jour, se met à jouer du Stravinsky. Réflexion sur le statut de la créativité dans notre société de consommation et de copie-pillage où les groupes de reprise font florès (regardez dans le progressif, les musiciens de ces groupes arrivent même parfois à intégrer les légendaires combos dont ils copient la moindre note ou la moindre attitude, le côté "pitres qui puent" en somme)…
+4626-COMFORTZONE s’articule autour de 3 pièces placées aux extrémités et au mitan de l’album sous le titre générique de "The One Inside" : d’abord une introduction bien mélancolique, "Noise in The Background", qui porte le thème musical de ce triptyque et dont la voix parlée aux allures de spot radio décrit la situation dans une ville natale traversée comme un désert de vie (c’est sans doute Gälve qui est évoquée ici) ; puis, une merveille acoustique, "My Companion Throughout Life", où les arpèges font merveille, ainsi que la reprise frippienne du thème au final, accompagnant le chant épuré et poignant de Rikard Sjöblom ; enfin, "Relief", plus électrique, qui relève le rôle de ce compagnon au travers de la vie, issue de secours, antre de soulagement, dont la porte se ferme au final sans que l’on sache bien si le narrateur s’en est défait ou non…
A l’intérieur de cet écrin, des pièces différentes, comme ce "Hold On" porté par une rythmique infernale (le duo Magnus Östgren/Robert Hansen est d’une précision et d’une efficacité redoutables) permettant aux guitares omniprésentes de tisser leur toile acide. Les arpèges sont magnifiques, et les breaks, musicaux ou chantés, s’articulent autour d’un chant doublé qui crie la détresse et la nécessité de tenir dans ce monde… Les allusions à Yes sont évidentes mais ne masquent pas la beauté du propos – même si les parties de basse rappellent Squire sans détour. La voix de Rikard s’emporte, soutenue par un orgue Hammond vitupérant. Ce morceau est une composition redoutable, les ambiances se succédant sans pesanteur, sans longueur, avant un final endiablé et majestueux.
Mais ce n’est rien à côté de "Comfort Zone", introduit aux claviers avant qu’un thème de guitare ne vous emporte sous des allures de premiers King Crimson ! Si c’est ça cette partie indicible de soi dans laquelle on se recroqueville, je comprends pourquoi j’aime à m’y repaître, à y côtoyer mes fantômes, tellement c’est envoûtant ! Beardfish fait fi des styles pour composer une œuvre à part entière. Rien que ce morceau, que j’écoute en boucle depuis que je peux entendre l’album, mérite l’acquisition de +4626-COMFORTZONE ! Une merveille, troublante, dérangeante, mais si douce à la fois avec son thème principal, si simple, si pur, si bien enjolivé, tendu et sautillant, doux et âpre, et ce solo d’orgue, sans démonstration qui rappelle la voix tantôt douce, tantôt geignarde de Rikard…
J’ai déjà parlé de "Can You See Me Now" et de son côté Ten CC (ou Big Big Train, tiens tiens…), gourmandise pop avec ses chœurs et ce son si particulier de la guitare électrique et du Fender Rhodes. Un contrepoint joyeux dans la noirceur du propos général, quoique…
"King" revient dans les couleurs de The Void, plus martelé et rugueux, avec son thème à la Rush (d’ailleurs, l’allusion à "Spirit of the Radio" n’est pas cachée dans les paroles), peut-être le morceau qui se déconnecte légèrement de l’ambiance générale, sans pour autant être mauvais, très loin de là…
"Daughter / Whore" reprend ce côté plus métallique, dans la logique de l’équilibre de l’album après "The One Inside Part 2 – My Companion Throughout Life". Ce sont les guitares qui prennent la main, portées par une rythmique hallucinante, un tempo de feu et des contretemps dantesques. Plus abouti que "King" au niveau de la composition à mon goût !
Et vient l’autre pièce majeure, surtout pour les amateurs des titres épiques propres au prog symphonique : "If We Must Be Apart (A Love Story Continued)", sur thème d’amour déchu mais toujours présent malgré les aléas et les réalisations de l’existence. Tout y passe : des clins d’œil à Kansas, Yes encore, Deep Purple, Transatlantic, Atomic Rooster… J’en passe, car c’est surtout une histoire, une véritable élégie à l’amour perdu, sublime dans sa composition et ses ambiances, ses parties instrumentales comme chantées, de quoi ravir les fous de pièces mémorables. Comme il est dit sur la fin du morceau : magie noire !
"Ode To The Rock ‘N’ Roller" a des allures tubesques si son format n’était trop long pour nos chères radios formatées… Et cette histoire de musicien de reprises serait tellement drôle à faire danser les gogos qui n’y comprendraient rien (un peu comme le slow de "I’m Not in Love" de qui vous savez…). Bon, sinon, sur ce morceau, ça envoie lourd, la partie de basse de Robert Hansen est tout simplement monstrueuse ! Beardfish fait feu de tout bois, on sent un plaisir à jouer ensemble plus qu’évident. Du coup, les parties de guitares se font joueuses, espiègles, tandis que le chant est encore vraiment impressionnant (Rikard est au sommet de son art de ce point de vue, écoutez ces montée à la David Byron !).
Vous l’aurez compris, l’année va commencer en fanfare pour les hommes et femmes ordinaires que vous êtes (pour moi, c’est 2014 qui s’est terminée en feu d’artifice avec ce disque). Même si les amateurs du virage métallique de The Void risquent d’être déçus, la barre a été placée très haut par Beardfish et on pourrait bien détenir ici l’album de l’année avant même que la concurrence ne tente de s’y mesurer !
Quand on pense que Beardfish va ouvrir pour la partie européenne de la tournée du Neal Morse Band (hélas, une seule date en France, le 9 mars au Divan du Monde), j’en connais qui ont du souci à se faire… et d’autres qui ont intérêt à se précipiter sur les billets pour assister au spectacle. Car mon petit doigt me dit que Beardfish, accompagné sur scène de Martin Borgh comme second claviériste, va laisser des traces indélébiles dans les mémoires des spectateurs qui auront la chance de voir ce +4626-COMFORTZONE sur scène !
En attendant, goûtez-moi cette galette, vous m’en direz des nouvelles.
De mon côté, je retourne dans les affres de ma "Comfort Zone", j’y suis désormais plus que bien accompagné…
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