Titres
Pal Selsjord Bjorseth [clavier,trompette], Ola Mile Bruland [bassiste], Arild Broter [batteur], Steinar Borve [chanteur,clavier,saxophone], Trond Gjellum [percussions], Anders K. Krabberød [bassiste], Kjetil Laumann [chanteur], Jarle G. Storløkken [guitariste], Torgeir Wergeland Sørbye [clavier]
On peut raisonnablement dire que le rock progressif possède quelques foyers majeurs qui, par leur fertilité inspiratrice, et très probablement par le rayonnement de quelques artistes moteurs et prolifiques, procurent un terreau propice à la croissance de l'arbre généalogique progressif européen. La Norvège, plus spécialement Trondheim, est un de ces lieux.
Mythopoeic Mind, groupe norvégien basé à Oslo, projet de Steinar Børve, est très sûrement un de ces groupes ayant aussi de fortes connexions avec la pépinière de talents musicaux de Trondheim, même si les deux villes sont séparées de quelques cinq cents kilomètres.
L'origine du nom du groupe est Mythopoeia, un poème de J.R.R. Tolkien qui explique que la création de mythes est importante, même dans une société moderne. Tolkien et le Seigneur des Anneaux ne sont pas étrangers à cet album Mythopoetry, puisque les idées musicales présentes dans cet album ont pour origine une pièce musicale jouée une seule fois à Oslo en 1997 au second Festival Nordique Tolkien. Cette pièce avait pour but d'accompagner des scènes et des paroles sélectionnées dans l'épopée de Tolkien, et n'a jamais eu de véritable concrétisation par la suite.
Mais tout vient à point à qui sait attendre. Plus de vingt ans après, Steinar, qui a entretemps fondé Panzerzappa et sorti quelques albums avec ce groupe, met en galette son premier projet, s'entourant au passage de talents issus de groupes tels que notamment Gentle Knife et Pymlico.
Le premier titre, 'Prologue Song', à la coloration délicieusement désuète, me fait intuitivement penser à Harmonium. Rien à voir, allez-vous me dire, peut-être, mais il en est ainsi. En tout cas ce prologue, avec sa voix (passée par un filtre ou un effet ?) et son instrument à vent électronique (Akai EWI), augure d'un album original, avec une touche vintage grandement revisitée.
'Prey', en mode couplet-refrain, continue avec ce parfum rétro, sur un rythme enlevé et bien chaloupé, avec un refrain léger. Hammond corsé, Akai, ce titre est frais et gouleyant comme un petit vin de terroir, bon et sans prétention ! Avec un petit doute quand à la voix dont on se demande si elle est naturelle - assez haut perchée avec une sensation de nez pincé – ou si elle a été transformée, ce qui semblerait quand même assez étonnant.
'Mount Doom', nouvelle référence à Tolkien, instrumental de dix minutes, est le premier gros morceau de cet album. Ce titre mimerait-il les activités du volcan de la Terre du Milieu ? En tout cas son début psychédélique et légèrement déjanté peine à partir, mais après s'être réveillé, éructe et enchaîne ses notes dans une explosion assez dissonante, semble s'essouffler, se calmer légèrement au milieu, mais reprend en un rythme plus léger et fluide, moins torturé, laissant sa lave s'écouler longuement le long de ses pentes abruptes. De nouvelles notes alambiquées de font ensuite entendre, alors que la basse et les claviers s'expriment en priorité en sorte d'épilogue, avant d'arriver à la conclusion, non sans un dernier petit rot volcano-musical en forme de court et rapide break.
'Train of Mind' renoue avec la structure couplet/refrain sur un rythme tranquille et régulier. Les paroles du titre sont là encore assez énigmatiques, mais évoquent un personnage bloqué dans un train en compagnie de pseudo zombies sans visage, en tout cas des gens bizarres et peu avenants. Un train que notre personnage voudrait quitter pour être libre, mais dont il ne peut s'échapper. La sonorité du clavier d'introduction me renvoie directement à Supertramp, les instruments s'entrelacent très harmonieusement, et il y a là encore un côté champêtre, léger et pétillant du plus bel effet. Comme évoqué auparavant, la voix de Steinar est définitivement singulière, avec un petit côté nasillard qui pourrait éventuellement rebuter quelques-uns, mais elle passe finalement bien.
Du haut de ses quatorze minutes, 'Sailor's Disgrace' est le second gros morceau de l'album. Ce titre raconte l'histoire d'un marin qui part pour un voyage au long cours avec sa compagne, qu'il perdra lors d'une escale inattendue sur une terre inconnue, abandonnant la partie, aux prises avec des créatures animales locales. Là encore toutes les articulations de ce titre narrent l'histoire de ce couple marin: introduction et grands rubans de Hammond, changement d'univers et de rythmes, épaississement du refrain, périodes de calme, claviers momentanément en exergue, Akai qui brode et s'en donne à cœur joie, ainsi qu'un passage final lent, calme, mélancolique, en forme de plainte donnent un relief tout particulier aux paroles de ce titre et aux aventures marines de ce couple.
Le dernier titre, avec ses claviers à la Vangelis ainsi que sa voix semblant sortir tout droit d'une cathédrale, laisse planer une touche cérémoniale, mystérieuse et spatiale à cet album. Une manière de boucler la boucle de façon assez ésotérique, et d'appuyer le message de l'auteur sur les mythes qui ont à un moment de l'histoire servi à comprendre le monde, au lieu de la science, à l'instar de la musique que Steinar voit aussi en contrepoids total à la science.
Mythopoetry est, en tout cas pour moi, encore une fois un album assez inclassable. Les fans d'ambiances musicales psyche-retro revisitées et rehaussées de quelques sonorités modernes y trouveront sans doute leur compte.