Titres
Formation en 2014
Colin Edwin [bassiste], Lorenzo Esposito Fornasari [clavier], Carmelo Pipitone [chanteur], Pat Mastelotto [batteur]
Au moment où j'écris ces lignes, les candidatures pour le Remix Contest lancé par O.R.k seront fermées dans quelques heures. Profitant de la sortie de leur premier album autoproduit, les quatre musiciens ont en effet eu l'idée, dans cette volonté de créer et de partager spontanément la musique en dehors de tout carcan marketo-médiatique, de faire appel aux talents cachés de chacun pour proposer un remix du titre 'Jelly Fish' présent dans cet Inflamed Rides. L'heureux récipiendaire verra son œuvre incluse en tant que titre bonus dans une édition limitée du CD.
Au vu du pedigree des personnages formant ce quartette mélangeant allégrement les nationalités italiennes, américaines et australiennes, il n'y a pas trop de risque à dire que l'on a encore affaire à du lourd. D’aucuns parlent de supergroupe, pourquoi pas, ce mot me laisse personnellement un peu indifférent. Il s’agit d’un groupe regroupant de très grands talents voilà tout. Visez plutôt: à la basse, Colin Edwin, qui, du haut de son arbre à porc-épic fait claquer ses cordes depuis maintenant plus de 20 ans. Aux fûts, Pat Mastelotto officie lui aussi depuis une bonne vingtaine d’années avec ses partenaires de King Crimson. Ensuite un duo italien formé de Lorenzo Esposito Fornasari (Lef), au chant et aux claviers, et de Carmelo Pipitone aux guitares. Le premier joue, entre autres, dans les groupes Bersek!, un ensemble de jazz prog, et Obake, une formation originale et inclassable gravitant quelque part autour d’une planète de la galaxie métal. Le second est un des membres fondateurs de la formation italienne rock-folk Marta Sui Tubi. Nos deux italiens ont aussi à leur actif de fructueuses collaborations avec une liste impressionnante d'artistes italiens.
Les présentations étant faites, j’ai été une fois de plus attiré par la pochette surréaliste de ces ‘manèges enflammés’ que ne renierait sûrement pas Stephen King. Un monde surréaliste, crépusculaire, semblant être débarrassé des hommes, supplantés par une civilisation d’espèce d'iguanes intelligents et féroces, et où les animaux ont repris leurs droits. Un monde à la dérive, déserté par la joie, incontrôlé et incontrôlable, à l’image de cette fête foraine dévorée au loin par les flammes, et de cette inquiétante tête de clown souriante, posée en pleins champs, rongée par on ne sait quels événements (je n’ai pu m’empêcher d’y voir le clown de Ça, ainsi que la voiture Christine fauchant l’herbe des prés). A ce stade le loup blanc va sûrement déambuler dans les encombres fumants des lieux dévastés. L’orque nageant dans le ciel étoilé, lui, ne fait que passer, complètement indifférent à ce qui se passe ici-bas. Hormis un titre chanté en italien, les paroles énigmatiques et sombres ne font que renforcer ce sentiment de monde en perdition. On parle d'une méduse qui aspire l'âme, d'un homme qui marche main dans la main avec une ombre, d'un esprit en dépression qui ne trouve pas le calme, d'une pluie de sang sur la foire en feu … en résumé une absence totale de repères.
C'est très probablement cette sensation de perte de repères que vous aurez à l'écoute de cet album, dont le format, soit dit en passant, reste classique (une dizaine de titres de 3 à 5 minutes pour une galette de 43 minutes). La musique de O.R.k se base essentiellement sur un dytique guitares-batterie. Les claviers expriment de nombreux motifs, trouvailles électroniques et contribuent à façonner cette ambiance étrange, psychédélique, barrée, teintée de désillusion et d'espoir étouffé dans l'œuf. En ce qui concerne la voix de Lorenzo sur cet album, je ne parlerai pas réellement de chant dans son acception telle que peut l'entendre l'homme de la rue. La voix de Lef, assez grave, passe en fonction des titres par toutes les variantes, de la voix caverneuse en ton monocorde sur la musique, à quelques courtes phrases un peu plus haut perché, fusant d'une manière fugace. Si ce n'est pas encore assez clair, à part peut-être 'Funny Games', il ne faut pas chercher de trame mélodique, ou plutôt de squelette rythmique régulier dans les titres de cet album. A ce stade de la chronique, raturant et reformulant maintenant rageusement depuis plusieurs dizaines de minutes les phrases qui ont du mal à exprimer clairement mes idées et l'univers de cet album, je dirais en forme de petite digression que la musique est en fait comme le vin. Les sensations qui naissent lors de ces dégustations tant gustatives qu'auditives peuvent être très difficiles, voire quasiment impossibles à retraduire en mots, qui peuvent de plus revêtir une signification différente pour chacun.
Pour en revenir à nos moutons -ou plutôt à notre iguane encravaté- cet Inflamed Rides provoque donc une sensation de glissade perpétuelle, d'absence de direction, d'univers foutraque et déjanté, accentué par des voix graves, caverneuses, et qui part continuellement en sucette malgré les tentatives d'ordonnancement initiées ça et là par les instruments. Avec 'Jelly Fish', sans introduction, qui part au quart de tour, on a déjà l'impression de prendre en court de route un titre interrompu en plein milieu d'écoute. Le son rauque, grave des guitares et de la basse part déjà ici tout en glissades et ruades, sur un monde sombre et désenchanté qui va se dévoiler dans les titres suivants. Et les exemples d'expression de cet univers sont légion et se succèdent au fil des titres : une guitare mal accordée, à moins que ce soit un vieux vinyle sur une platine poussive, une voix caverneuse qui hurle sa colère après une calme complainte ('Pyre'), un titre qui démarre en forme de disque rayé et qui n'arrive pas à se mettre en route, de nouvelles voix posées et graves, inquiétantes, qui vous souhaitent la bienvenue en enfer, et qui pèsent comme un couvercle sur une musique qui voudrait s'envoler vers un peu de lumière ('Funfair'). On retrouve notre orque volant et ses cris dans 'Bed of Stones', un nouveau titre qui ne semble pas réellement démarrer avec sa trame éléctronique qui se distend et se retend constamment, pour continuer en crescendo de guitare et finir en déluge de batterie, dans l'étouffement des voix et des instruments. 'No need' continue dans les notes décalées, en une sorte de motif qui tourne en boucle, joué à la guitare acoustique par des Blues Brothers qui auraient oublié leurs bases de solfège. Les voix crient, provoquent une sorte de fin de cycle en répétant les mêmes mots, sont hachées sur un nouveau vinyle bloqué. Les accords saturés glissent, la batterie s'acharne, "it's time to say goodbye". C'est ensuite au tour d'un orgue poussif, déjanté, décalé, de s'exprimer sur 'Vuoto'. Une guitare électrique complètement barjo, avec des accords à la ZZ Top sous hallucinations, s'invite. Tout ce petit monde en vrille continue allègrement son drôle de bordel jusque la fin du titre: l'orgue est bloqué sur un accord, la guitare fait ce qu'elle veut, des discussions fusent à droite et à gauche. Le titre suivant, 'Dream of Black Dust' est l'éclaircie attendue qui pourrait venir trouer ce ciel noir. Il en émane une sorte d'espoir, de sortie du tunnel éventuelle. On pourrait renouer avec la gaieté, les jours meilleurs, la voix de Lef nous y invite, mais ce n'est pas encore ça, il restera encore et toujours un fond de tristesse désabusée. La clarinette est pleine de désillusion, la trompette est triste et laconique, les motifs de clavier retombent à terre, la fin laisse encore une fois une impression d'inachevé et de désespoir, au bord d'une falaise béante dans l'obscurité. Le contraste revient avec 'Funny Games', le seul titre un peu plus académique, linéaire, avec son piano bar pas très enjoué, néanmoins sympathique, ses effets électroniques, son rythme régulier sur lequel se greffent successivement la guitare électrique et la basse. L'album se finit sur cette 'Poussière Noire', une poussière qui est retombée et a pris possession de ce monde décharné, perdu, triste, sans vie, exprimé par une trompette laconique et de longues notes tristes qui se perdent dans un ciel obscur.
Inflamed rides est le genre d'album rock à base guitare-batterie vraiment atypique où la première écoute peut provoquer une drôle de sensation, voire un rejet. Il ne faut surtout pas s'y tromper, toutes ces glissades, décalages et dissonances non dissonantes sont savamment orchestrées et réglées au millimètre. C'est vraiment une belle performance de créer un album avec de tels décalages musicaux, mais qui au final trouve une cohérence de plus en plus palpable et appréciée à chaque écoute supplémentaire. Pour certains d'entre vous, vous devrez donc sûrement vous armer d'un peu de patience pour, si vous y êtes sensibles, apprécier cet album assez particulier, indubitablement original.
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