Titres
Zolt Kalten Ecker [clavier], Marton Kertesz [], Attila Fehervari [], Adam Marko [batteur]
Formé à Budapest en 2004, le quatuor Hongrois de Special Providence acquiert assez rapidement une solide réputation dans le milieu du metal fusion en Europe Centrale et tâtonne depuis peu l'Europe entière avec le live Something Special donné et enregistré en France en 2010. Les quatre gaillards doivent ce succès à des qualités techniques franchement effarantes et à un certain goût pour les expérimentations extrêmes. Ainsi, depuis 2 albums (Space Café en 2006 et Labyrinth en 2008), Special Providence cultive son style, ne s'imposant aucune limite. Le groupe remet ça en 2012 avec son nouvel album : Soul Alert.
On sent dès la première piste qu'il a beaucoup évolué pendant 4 ans, une progression de son identité musicale, désormais beaucoup plus portée sur les rythmes et la vitesse. Un metal fusion beaucoup plus violent, véloce et incisif qu'auparavant, rendant cet album très dur d'approche. Et même si leur patte demeure reconnaissable, il semblerait que le groupe pour ce disque ait choisi de n'utiliser que certains traits de style, à savoir : expérimentations rythmiques, ambiances futuristes, vitesses intenses et claviers froids. Il ne subsiste dans la nouvelle galette que de très rares mélodies individualisables. De cette transformation découlent des conséquences tantôt positives, tantôt négatives sur la qualité de la musique. La belle progression d'ambiances agréablement juxtaposées que développent la plupart des morceaux est par exemple une belle réussite de ce qu'offre cette «évolution ». En revanche, la trop grande utilisation de claviers froids (aux sons parfois ridicules, il faut bien le dire) nuit non seulement à l'accessibilité de l'album mais aussi à sa cohérence. Certaines sonorités rappellent cruellement par leurs absences de chaleur et leurs motifs assez aléatoires le pire de Jordan Rudess (Lazy Boy). Ceci-dit, ces quelques «fautes de goût » n'empêchent en rien le disque d'atteindre une certaine qualité due à une réelle recherche rythmique (en plus de ces recherches d'ambiance). Tout cela réuni donne un album d'une vivacité extrême, qui se savoure les oreilles grandes ouvertes. Et c'est finalement cette constante mouvance instrumentale qui renoue (au-delà des instruments et sonorités) avec le côté jazz fusion dont se revendique la formation.
Il fallait bien, pour mettre en œuvre cette intensité instrumentale, des musiciens non-seulement techniques mais garants d'un savoir-faire purement musicale, une aptitude à transmettre les émotions de chaque morceau. Force est de constater que c'est bien le cas pour tous les membres de la formation qui sont loin de se contenter de jouer à toute vitesse sans insuffler d'âme à ces compositions. Les quelques interventions d'une basse ronronnante et d'un piano gracieux (quand il revêt la vrai sonorité d'un piano...) sont de pures douceurs mélodiques. En témoigne l'excellent Return to Childhood qui met avec délice les deux instruments au premier plan. Il y a aussi Markó Ádám qui derrières ses fûts, ne manque pas de rester à la fois pertinent et percutant. Évidemment, les joyeux musiciens cèdent parfois à d'inutiles étalages de technique, mais se gardent sous contrôle dans l'ensemble. Le guitariste Kertész Márton tire franchement ce disque vers le haut grâce à ses performances et ses solos, qui malgré leur digestion lente et compliquée parviennent à combler ceux qui auront maintes fois prêté l'oreille. La guitare est d’ailleurs ici l'instrument dominant : pas seulement en terme de plans sonores mais aussi de qualité. Elle dessine souvent à elle toute seule certaines ambiances et structures de morceaux avec une belle réussite.
Les Hongrois nous livrent donc ici un bon album, qui ne cède à la facilité ni sur la forme, ni sur le fond (jusqu'à en devenir peut être trop compliqué). Le plus gros défaut du quatuor reste finalement son manque d’honnêteté quand il nous affirme que Special Providence est un groupe « accessible » (auraient-ils eu Third de Soft Machine pour disque de chevet?!). Malgré son côté parfois froid, Special Providence s'illustre aussi dans le metal grâce à des riffs inaltérables et addictifs comme celui de Standing Still. Le groupe nous a même réservé une petite surprise pour le dernier morceau (Fences of Reality) qui délivre après un album instrumental la voix agréable d'un invité venu reprendre le thème de Lazy Boy. Une galette dont les recherches de dynamisme et d'ambiance, saupoudré de metal ou de jazz, devrait combler les fan jazz fusion.